Les «perdants de la mondialisation», un raccourci trop aisé pour expliquer la montée des populismes

Une manufacture à Seattle, Etat de Washington, Etats-Unis, août 2016. © Ted S. Warren
Une manufacture à Seattle, Etat de Washington, Etats-Unis, août 2016. © Ted S. Warren

Il est souvent d’usage d’attribuer l’essor des mouvements qualifiés de populistes et situés sur le flanc droit de l’échiquier politique au soutien que leur apporteraient ceux que l’on nomme les «perdants de la mondialisation». Mais que signifie ce concept?

Dans cette catégorie s’inséreraient, principalement, les hommes blancs travaillant en usine et qui seraient victimes des délocalisations d’entreprises à l’affût des salaires modestes versés aux ouvriers qui s’entassent dans des centres de production lointains. L’ouverture des marchés sanctionnerait en quelque sorte leur sortie de notre «modernité».

Ne pas sous-estimer l’idéologie

A leurs côtés s’agrégeraient des citoyennes et citoyens frustrés dans leurs antiques certitudes, incapables de s’adapter aux temps nouveaux. Ces individus vivraient essentiellement dans des quartiers reconvertis en bassin multiculturels ou dans des zones périphériques, autrefois agricoles ou mono-industrielles et aujourd’hui négligées par les pouvoirs politiques et économiques. Ces derniers, concentrés dans les agglomérations urbaines draineraient le gros des richesses nationales.

Il est indiscutable que les formations appartenant à la droite dite populiste recrutent une forte proportion de leurs électeurs dans ces catégories sociales. Mais peut-on déduire de ce constat sociologique des conclusions suffisantes pour la compréhension de ces mouvements?

Il est permis d’en douter car, au-delà des courbes statistiques, il ne dit rien sur les causes idéologiques ayant impulsé ces phénomènes qui ont conquis de larges couches d’un électorat en effet désabusé, que découvrent, pantois, les pays occidentaux.

Un parfum d’arrogance

L’expression «perdants de la mondialisation», outre le fait qu’elle occulte les fondements de ces partis, exhale d’abord un parfum d’arrogance dont il serait facile de parer ces «élites» égrenant avec condescendance leurs jugements de valeur et que, précisément, ces prétendus exclus exècrent. Les discours des tribuns avocats autoproclamés du «peuple» révolté en font foi…

Et on oublie que le camp des «perdants» compte nombre de personnalités arborant tous des caractéristiques qui devraient les propulser naturellement dans celui des «vainqueurs», de Florent Philippot en France à Roger Köppel en Suisse. Peut-être, et l’objection affleure souvent, ces surgeons de l’élite drapés dans la toge de porte-voix des laissés-pour-compte jouent-ils un rôle d’alibi…

Mais il est bon de se souvenir que le mouvement ouvrier a pu entamer sa marche en avant, dès le XIXe siècle, sous la conduite de représentants des classes dites possédantes qui avaient pris le parti du marxisme ou de l’anarchisme, pour des raisons opportunistes parfois, mais souvent aussi par conviction!

Pas seulement les pulsions malsaines d’un groupe d’individus

Même sur le plan sociologique, la condensation sous un toit unique de l’ensemble des électrices et électeurs de ces mouvements reste sujette à caution. Car s’ils enregistrent succès sur succès, n’est-ce pas plutôt parce qu’ils attirent dans leurs rangs, non seulement ceux qui ont été éjectés de la roue de la fortune mondialisée, mais aussi ceux qui, déstabilisés, craignent de subir un sort identique?

De fait, en se transformant en lieu de rassemblement de perdants «potentiels», ces mouvements posent d’autres questions que l’étiquette «officielle» subvertit: ne faut-il associer les choix politiques effectués par les «exclus» qu’à la stigmatisation économique et sociale dont ils se sentiraient l’objet? Ou vaudrait-il la peine de fouiller les convictions qui les animent?

Evacuer cette question sous prétexte qu’elle ne refléterait qu’une xénophobie nauséabonde ou un communautarisme désuet ne suffit pas à éclairer des réflexes qui dévoilent aussi l’état de la société, et pas seulement les pulsions malsaines d’un groupe d’individus…

Ne font-ils qu’avouer leur échec?

Car que disent ces «perdants» aux vainqueurs présumés? Ne font-ils qu’avouer leur échec ou lancent-ils à leurs critiques un appel au secours, face à un marché libérateur et à un multiculturalisme source possible de nouvelles inégalités?

Il serait sage d’ouïr le message que Jean-Pierre Le Goff suggère à travers son analyse des mouvements des années 60. Il ne s’agit pas de renier les valeurs généralement déposées dans le baluchon des «élites», avec leurs teintes différentes: les droits de l’homme, par exemple, n’auront ni le même sens ni la même saveur s’ils sont déclinés à gauche ou à droite…

Ecouter ces voix persuadées d’être maudites doit au contraire inviter les défenseurs d’une société libérale (au sens très large du terme) à s’interroger sur ses références idéologiques et à les confronter aux réalités actuelles ainsi qu’à la diversité sociale qu’ils louent volontiers. De ce dialogue avec la multiplicité des valeurs qui composent nos sociétés démocratiques émergeront des réponses à des questions toujours en suspens. Afin que tous soient des gagnants!

Olivier Meuwly est essayiste et historien.

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