Les quotas de CO2 ne doivent pas mettre en danger l’industrie sidérurgique européenne

Le Parlement européen a voté mercredi 15 février plusieurs amendements essentiels portant sur le système européen d’échange de droits d’émissions de CO2, appelé « Emissions Trading System » (ETS). Ces amendements doivent permettre à l’industrie sidérurgique européenne de ne pas être trop lourdement pénalisée face à la concurrence étrangère au moment où la 4phase de l’ETS entrera en vigueur, en 2020.

Il s’agit là d’une bonne nouvelle, mais qui ne nous permet pas pour autant de nous réjouir car, avant l’arrêté des mesures définitives, le chemin sera long. L’une des étapes devrait être la réunion du Conseil européen des ministres de l’environnement, mardi 28 février. En tant que président-directeur général du leader européen et mondial de la sidérurgie, je suis très inquiet des conséquences que pourrait avoir cette 4e phase, non seulement sur la compétitivité mais aussi sur l’avenir de l’industrie sidérurgique en Europe.

Le système tel qu’il est conçu est porteur d’une erreur majeure : il ne tient pas compte du caractère mondialisé du secteur sidérurgique. Lorsque la 4e phase de l’ETS entrera en vigueur, les coûts pour les producteurs d’acier européens augmenteront brutalement sous l’effet d’une taxe carbone qui pourrait atteindre 30 euros par tonne d’acier. De leur côté, les producteurs d’acier étrangers qui vendront leur acier en Europe ne seront pas assujettis à cette taxe. Résultat : ils produiront chaque tonne d’acier avec un avantage compétitif d’environ 30 euros sur leurs concurrents européens. Dans un secteur qui souffre déjà de surcapacités, cette différence est immense et met en péril une grande partie de l’industrie sidérurgique européenne… et française.

Une grande menace pèse sur la France

Pourquoi une si grande menace ? Aujourd’hui, il faut émettre environ 2 tonnes de carbone par tonne d’acier produite et nous serions obligés, à l’avenir, d’acheter environ la moitié de nos droits d’émissions. Or, depuis 2008, la marge brute par tonne d’acier produite est en moyenne de 35 euros pour un sidérurgiste européen. Un coût supplémentaire de 30 euros en moyenne par tonne d’acier produite rendrait donc les profits quasiment nuls, et ce avant même qu’on déduise tous les autres coûts.

Aujourd’hui, l’Europe consomme environ 160 millions de tonnes d’acier et 83 % de cet acier consommé en Europe est aussi fabriqué en Europe. Les besoins d’acier européens vont se maintenir à ce niveau dans les années à venir. Mais d’où viendra l’acier consommé après 2020 ? Probablement de plus en plus de l’étranger, et plus probablement encore de pays où les normes environnementales sont bien moins contraignantes qu’en Europe et les niveaux d’émissions bien plus élevés car, en la matière, l’Europe est déjà parmi les zones les mieux régulées au monde.

Le système d’échange de droits d’émissions ne devrait donc pas simplement chercher à réduire les émissions de ce qui est produit en Europe, mais plus largement les émissions de ce qui est consommé en Europe. Sinon, cela reviendrait à exporter les emplois et importer du CO2, ce qui n’aura aucun impact réel sur les émissions à l’échelle du globe.

La législation finale qui sera arrêtée au niveau européen doit donc absolument tenir compte des derniers amendements. Malheureusement, à l’heure qu’il est, le risque est élevé de voir ces nouvelles orientations balayées par certains gouvernements, y compris par le gouvernement français. Lors de la prochaine réunion du Conseil environnemental, le 28 février, la France a en effet l’intention de s’opposer à ces amendements. Ce faisant, elle prend le risque de faire disparaître la sidérurgie française, qui représente aujourd’hui 23 000 emplois directs et près de 100 000 emplois induits.

Cette attitude est paradoxale de la part d’un gouvernement qui a si vivement critiqué l’arrêt des hauts fourneaux de Florange en 2012. Cette décision, très difficile à prendre pour l’entreprise, était devenue nécessaire pour des raisons structurelles de compétitivité dans un contexte de crise mondiale. Depuis, ayant tenu tous ses engagements sociaux et ayant massivement investi (déjà plus de 200 millions d’euros), ArcelorMittal a transformé le site de Florange en un fleuron de l’acier automobile. Mais la position du gouvernement français lui-même, si elle restait inchangée, viendrait altérer la compétitivité et menacer l’avenir de la production d’acier sur le territoire national.

Créer un environnement viable

Nous demandons donc au gouvernement de revoir sa position et de prendre une décision qui puisse assurer l’avenir d’une sidérurgie forte en Europe, et plus particulièrement en France. Pour nous, il ne s’agit en aucun cas d’une tentative de nous dessaisir de notre rôle dans la transition vers une économie moins émettrice de carbone. Nous avons mis en place des projets pilotes pour tester de nouvelles technologies, en lien, notamment, avec la capture et l’utilisation du carbone.

Nous travaillons également avec nos clients pour les aider à réduire l’empreinte carbone de leurs produits, et les aciers fabriqués à Florange en sont un excellent exemple. Sur le fond, nous sommes parfaitement d’accord avec les objectifs de l’Union européenne en matière de climat. Mais nous ne sommes pas d’accord avec la méthode sur le point d’être mise en œuvre.

J’alerte donc tous ceux qui sont attachés à la sidérurgie française et qui veulent qu’elle continue à contribuer à l’économie. Il n’y a aucune raison pour que la France soit privée d’une industrie sidérurgique technologiquement avancée, à la main-d’œuvre qualifiée, dont la recherche et développement est parmi les meilleures au monde, et capable de réduire durablement son impact carbone. Les responsables politiques, comme les législateurs, doivent pour cela comprendre qu’il faut créer un environnement viable pour l’avenir de l’industrie. Sinon, il sera vraiment trop tard.

Lakshmi Mittal, PDG d'ArcelorMittal

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