Les réponses de Rome garantissent que de nouvelles tragédies se produiront en Méditerranée

Alors que certains pays parlent d’invasion pour décrire le nombre de migrants arrivés en Italie, les chiffres sont à relativiser. Près de 170 000 en 2014, presque 30 000 sont des chiffres relatifs face aux milliers de réfugiés qui ont fui vers la Turquie ou le Liban depuis le début du conflit syrien. Le seul drame dont on devrait s’affoler, c’est tout ceux qui n’atteindront jamais les côtes italiennes, tous ceux qui, comme les quelque 900 morts dimanche 19 avril, vont périr en Méditerranée sur des embarcations de fortune. Presque 2 000 personnes ont trouvé la mort en mer ces quatre derniers mois.

Ansou est un jeune sénégalais, survivant du tragique naufrage du 13 avril où 400 personnes ont péri. Il raconte être parti du port de Zwara en Libye à l’aube du 12 avril. Ils étaient presque 600 hommes, femmes et enfants entassés dans un bateau vétuste en bois. Après un jour et demi de traversée, ils ont cru s’être perdus. Quand ils ont vu un bateau s’approcher, ils ont craint que ce soit la marine libyenne, qui les aurait ramenés dans l’enfer de torture et violences dont ils venaient tout juste de s’échapper. Une manœuvre a suffi pour faire couler le bateau, emportant avec lui 400 personnes.

Six jours plus tard, le 19 avril, un drame similaire : des centaines de migrants se noient à portée de regard d’un cargo portugais, impuissant sans gilets de sauvetage ni moyens de secours, qui avait été dépêché sur les lieux par les autorités italiennes après qu’elles ont reçu les appels des naufragés. Le bilan est encore plus lourd : 28 survivants, 24 dépouilles repêchées, on parle de 950 disparus en mer.

Face à ces disparus, qui s’ajoutent aux autres milliers de migrants qui depuis des années meurent aux frontières de l’Europe, il est urgent d’identifier les responsables, sans céder, comme trop de politiciens l’ont fait, à l’hypocrisie. La responsabilité première est celle des institutions européennes et des États membres de l’Union européenne. La politique de fermeture des frontières et l’absence de voies légales d’accès en Europe obligent les migrants à avoir recours aux passeurs. À cela s’ajoute la situation chaotique de la Libye d’aujourd’hui, où le transport des migrants est devenu l’une des premières sources de revenu de ces Charon modernes qui, indifférents au sort de leurs « passagers », n’hésitent pas à les embarquer sur des rafiots vétustes qui risquent de couler à quelques mètres du rivage. Les migrants parlent de Zodiac en plastique qui risque de fondre au soleil de la traversée, de barques de pêcheurs chargées de plus de 800 personnes, certaines enfermées à fond de cale sans pouvoir en sortir au moment du naufrage.

Mais une lourde responsabilité incombe aussi au Gouvernement Italien qui a accepté, sous la pression européenne, de remplacer l’opération Mare Nostrum par Triton. La première, coordonnée par la Marine Militaire italienne, avait comme objectif le sauvetage, et intervenait non loin des côtes libyennes, là où se produisent les naufrages. Triton en revanche est une mission de contrôle dont le rayon d’action est limité à 25 milles au large de Lampedusa, loin des zones où les migrants en détresse lancent leurs appels au secours. Basés à Lampedusa, les dispositifs de secours italiens envoient trop souvent des cargos commerciaux, inadaptés et sous-équipés pour effectuer des sauvetages.

La société civile italienne a pris la mesure de la gravité de ces morts en se rassemblant au lendemain du dernier drame devant le siège du Parlement Italien pour demander « d’arrêter l’hécatombe ». Mais le gouvernement, sur la même ligne que l’UE, propose de renforcer le contrôle plutôt que le sauvetage, de se refermer au lieu d’accueillir. Si les discours ne sont pas les mêmes, on observe une certaine convergence entre la droite et la gauche. Nombreux les politiciens italiens qui ont proposé la mise en place d’un blocus naval face aux cotes libyennes pour empêcher l’arrivée des migrants. Le Président du Conseil Matteo Renzi a présenté à la Chambre et au Sénat le 22 avril des propositions en trois points : lutter contre le trafic des êtres humains, empêcher les départs (avec des opérations d’informations dans le sud de la Libye) et renforcer l’opération de contrôle Triton.

Dans le contexte libyen de guerre civile, où les organisations humanitaires interviennent très difficilement, il est illusoire de penser que la mise en place de canaux d’information sur les risques de la migration empêchera les migrants de partir, d’autant que ceux qui arrivent sont principalement des réfugiés en quête de protection que nulle information sur les risques de la traversée ne dissuadera, car elle est leur seul espoir de fuite. Encore plus irréelle la proposition de détruire, avec l’utilisation des forces militaires, les bateaux avant qu’ils ne soient utilisés tant les risques sont grands pour des innocents, migrants et pêcheurs.

La priorité du gouvernement Italien est très clairement la protection des frontières et non celle des personnes. En désignant les passeurs comme responsables, on oublie que ce sont les politiques européennes de fermeture des frontières qui nourrissent leurs trafics. Si les migrants disposaient de voies d’accès légales aux territoires européens, ils ne risqueraient pas leur vie en mer. Ne prévoir, en réponse aux meurtriers naufrages, que le renforcement de Triton, et n’investir aucun moyen de sauvetage, c’est garantir que demain de nouvelles tragédies se produiront.

Sara Prestianni est photographe et spécialiste des migrations.

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