Les sanctions économiques prises contre Moscou réduites à leur fonction dénonciatrice

L'adoption de sanctions économiques est devenue un instrument privilégié de la politique étrangère et de sécurité commune de l'Union européenne (UE) afin de répondre aux violations du droit international et des droits de l'homme. La crise ukrainienne révèle toutefois les limites de cet outil politique à but traditionnellement coercitif, et ce, malgré le durcissement progressif des sanctions.

L'efficacité des sanctions repose principalement sur deux paramètres : le nombre d'États qui les mettent en œuvre et l'étendue des personnes, entités et activités susceptibles d'être affectées. Seule instance compétente pour imposer la mise en œuvre de sanctions économiques à tous les États membres des Nations Unies, le Conseil de sécurité est resté impuissant, dans le cadre de la crise ukrainienne, en raison du droit de veto dont bénéficie la Russie.

Les mesures adoptées contre Moscou ne pouvaient dès lors être qu'unilatérales et décentralisées. Ce sont principalement l'Union Européenne et les États-Unis qui se sont engagés dans cette voie, et ce, de manière graduelle depuis mars 2014.

Les sanctions de l'UE contre la Russie sont toutefois ciblées (gel des avoirs de personnes et entités liées à l'exécutif russe, restrictions commerciales sur le matériel et les technologies militaires, limitations de l'accès aux marchés de capitaux européens).

FRILOSITÉ APPARENTE

Lundi 8 septembre, alors que les parties observent un cessez-le-feu, l'Union a par ailleurs décidé d'ajourner l'entrée en vigueur de nouvelles sanctions qui restreindraient dans le marché européen les financements consentis aux plus importants groupes pétroliers russes.

Cette frilosité apparente s'explique par les trois principales contraintes qui s'exercent sur les instances européennes : juridique, politique et économique.

La contrainte est juridique car les restrictions commerciales doivent être conformes aux accords de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et les sanctions ne sauraient empiéter sur les droits fondamentaux des personnes et entités visées.

Elle est aussi politique car l'Union ne peut imposer de mesures restrictives qu'au moyen d'une décision unanime des États membres. La procédure de décision se heurte donc aux réticences d'États dépendants de la Russie, en particulier dans le domaine énergétique, et fait converger le contenu des mesures vers le plus petit dénominateur commun.

VENTE INACHEVÉE DE DEUX NAVIRES MISTRAL

Enfin, la contrainte est économique car l'auteur des sanctions s'emploie à ne pas exposer certaines de ses industries à des mesures restrictives qui pourraient leur être gravement préjudiciables. C'est le cas de la France, qui reste tourmentée par la vente inachevée de deux navires Mistral à la Russie, dont la première livraison a été suspendue.

Au-delà de ces impératifs, la politique de sanction de l'UE fait face à un nouveau défi, celui des représailles de la Russie. Si Bruxelles s'astreint au respect de la légalité, tel n'est pas le cas de Moscou qui ne s'encombre pas des mêmes exigences. Ainsi, l'embargo russe sur les produits agricoles européens et américains, à caractère punitif plus que coercitif, est contestable au regard des accords de l'OMC.

Il faudra toutefois au moins deux ans à la suite d'une plainte de l'UE avant que le mécanisme de règlement des différends de l'OMC ne se prononce sur cette violation et, dans l'hypothèse de sa continuation, n'autorise l'Union à prendre des contre-mesures. Entre temps, l'UE a dû se résigner à mettre en place un plan onéreux de soutien à la filière agricole.

STRATÉGIE DE SUBSTITUTION

De plus, si les mesures européennes sont préjudiciables à la Russie, on peut néanmoins déjà constater la mise en place d'un détournement vers l'Amérique du Sud et la Chine de flux commerciaux dont le marché européen bénéficiait auparavant, ainsi que d'une stratégie de substitution des chaînes d'approvisionnement.

Ces répercussions ont d'ailleurs été prises en compte dans le cadre des dernières sanctions. Ainsi, Bruxelles a d'abord envisagé d'exclure la Russie du système de règlement interbancaire SWIFT, mais semble y avoir finalement renoncé, craignant que cela ne favorise l'émergence d'un système de règlement concurrent.

La Russie, avec ses larges réserves de ressources naturelles et son faible taux d'endettement, pourrait donc se montrer résiliente, même face à de nouvelles sanctions. De plus, on ne saurait exclure des représailles plus agressives du Kremlin.

En riposte à une possible mise en œuvre des dernières mesures européennes, le Premier ministre Medvedev a évoqué une éventuelle fermeture de l'espace aérien russe aux compagnies occidentales, qui pourrait leur être fatale. Du reste, on ne saurait exclure une limitation des exportations de gaz vers l'Europe, ce qui affecterait une économie européenne vacillante.

Si de telles représailles venaient à être adoptées, la politique de sanction de l'UE ne se révélerait-elle pas contre-productive ? En l'absence de résolution du Conseil de sécurité et face à un État tel que la Russie, les sanctions économiques unilatérales peuvent-elles être considérées comme un instrument de coercition efficace ? La stratégie explorée au sein de l'OTAN, qui envisage une assistance militaire à l'Ukraine, suggère qu'elles peuvent s'avérer insuffisantes.

La crise ukrainienne conduit à un constat important : les mesures unilatérales adoptées risquent d'être réduites à leur fonction dénonciatrice, singulièrement symbolique, et peuvent occasionner des mesures punitives contre leur auteur. Cela n'empêche toutefois pas la réalisation de l'un des objectifs des sanctions, qu'elles soient unilatérales ou multilatérales, progressives ou d'emblée draconiennes : celui d'amener l'Etat cible au dialogue.

Régis Bismuth, professeur agrégé des facultés de droit. Mercédeh Azeredo da Silveira, docteur en droit et avocate aux barreaux de Paris et de Genève.

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