Les soldats d’Allah de Téhéran sont devenus des hommes d’affaires

Trente-six ans après son avènement, la République islamique ne ressemble plus à ce qu’elle était à ses débuts. Le monde a désormais affaire à une nouvelle génération de dirigeants, dont la logique politique prime sur la logique religieuse. Le pragmatisme du président iranien, Rohani, l’a rendu très populaire auprès de la population, au moment où le clergé chiite est plus détesté que jamais.

Les paradoxes pèsent lourd et les appréciations divergent   : les uns y voient un régime totalitaire ; les autres le prennent pour une démocratie. Le rôle et la place de la religion ont complètement changé, les appartenances religieuses des Iraniens se sont évaporées, et l’effondrement des valeurs, des normes et des croyances religieuses est tellement profond qu’il est difficile de présager de l’avenir.

Mais, chose remarquable, ce n’est pas seulement la société iranienne qui est sortie de la religion ; les ayatollahs au pouvoir, à leur tour, se sont éloignés des univers spirituels pour devenir des hommes politiques à part entière. Loin de ressembler aux «  hommes de Dieu  », prêchant des discours apocalyptiques, ils sont devenus de fins stratèges qui savent mener à bien leur travail selon la logique politique des modernes.

L’exemple le plus brillant est celui du président Rohani, qui, avant d’être un religieux, est un homme politique, à la hauteur de sa fonction. S’il est difficile de voir en lui un «  président démocrate  » – il n’a d’ailleurs ni l’ambition ni la volonté de l’être –, il est encore plus difficile de ne pas remarquer le fossé qui le sépare de ses prédécesseurs, à commencer par l’ancien président Mahmoud Ahmadinejad.

Pragmatisme

En 2013 à l’ONU, par exemple, le discours pragmatique du président Rohani a agréablement surpris à la fois les Iraniens et la communauté internationale, qui étaient habitués à quelqu’un comme Ahmadinejad, annonçant une fin tragique aux grandes puissances du monde et les conjurant d’aligner leur politique selon la volonté de Dieu.

Si les intérêts de l’islam étaient toujours prioritaires pour l’ayatollah Khomeyni et pour ses successeurs, c’est depuis l’arrivée du président Rohani au pouvoir que, pour la première fois depuis l’avènement du régime islamique, les Iraniens entendent parler de leurs intérêts nationaux avant toute considération religieuse. Pour Khomeyni, c’était l’islam qui était en danger et qu’il fallait protéger, alors que, pour le nouveau président, c’est l’économie qui doit être sauvée. Pour n’en citer qu’un exemple, les généraux de l’armée révolutionnaire (pasdarans), au lieu d’être les «  soldats d’Allah  », sont devenus des hommes d’affaires.

Ainsi, trente-six ans de l’exercice du politique ont changé la nature des religieux au pouvoir. En s’emparant des fonctions étatiques, Khomeyni et ses ayatollahs ont voulu «  islamiser  » le politique et le soumettre à la transcendance. Mais l’exercice du politique à travers les institutions modernes – comme le Parlement, le Sénat, les Cours suprêmes… –, mises en place sous le régime Pahlavi, les a contraints à s’adapter aux modes de pensée et d’activité liés au monde d’aujourd’hui. Paradoxalement, le régime islamique n’a fait qu’accentuer l’effondrement de la religion en Iran.

L’Iran d’aujourd’hui est loin d’être une démocratie, les droits de l’homme sont les grands oubliés et les prisons sont toujours pleines ; pourtant, malgré les apparences, les dirigeants de ce pays sont en train de se libérer de l’emprise de l’islam. Ironie du sort, ces ayatollahs au pouvoir, ces fervents opposants à la modernité, ces ennemis jurés de la démocratie, des libertés et des droits fondamentaux des individus, indépendamment de leur volonté et sans même le savoir, sont en train de devenir des puissants acteurs de la modernité.

Mahnaz Shirali (sociologue)

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