Les tensions entre catholicisme et modernité ne vont pas se dissiper

L’Eglise catholique s’apprête-t-elle à changer de paradigme en matière de morale sexuelle et conjugale ? Depuis que le pape François a convoqué, en 2013, deux synodes sur la famille, le débat fait rage à tous les niveaux de l’Eglise.

Rappelons tout d’abord qu’un synode est une assemblée consultative d’évêques et d’experts et non pas un «  parlement  » au pouvoir législatif. L’Eglise n’est pas une démocratie, et elle n’entretient pas avec sa doctrine le même rapport qu’un parti politique avec son idéologie et son programme. Il faut donc éviter de se tromper de registre et de plaquer sur les débats actuels des catégories trop «  mondaines  ».

Il n’en reste pas moins vrai que l’Eglise sous l’impulsion du pape François vit des heures importantes de réflexion et de tension. Le point de départ du débat est un constat  : l’enseignement moral de l’Eglise sur la sexualité, le mariage et la famille n’est pas reçu et mis en pratique par une grande majorité de baptisés qui le considèrent comme impraticable.

Fossé à combler

Sur les questions les plus débattues aujourd’hui, à savoir sur les divorcés remariés, la contraception, les unions libres ou encore les unions entre personnes de même sexe, certains cardinaux réclament que la doctrine n’apparaisse plus comme un ensemble de normes morales obligatoires mais comme un idéal régulateur. La pastorale [branche pratique de la théologie] consiste pour eux à accompagner les personnes et les couples sur un chemin de croissance par nature indéfini.

Dans une telle optique, l’accès aux sacrements de l’eucharistie et de la réconciliation est remis au discernement de la conscience individuelle, le magistère et les pasteurs ne fournissant qu’un conseil sur des matières vues comme optionnelles. Une telle articulation permettrait de combler à moindres frais le fossé entre l’Eglise et la mentalité contemporaine, et de solder les malentendus oblitérant l’annonce du message évangélique dans sa pureté et sa simplicité franciscaines.

Ce que le concile Vatican II aurait initié serait ainsi enfin accompli : l’apaisement des tensions entre l’Eglise et le monde moderne qui, de la Réforme protestante et du concile de Trente en passant par la Révolution et par la crise moderniste, ont consommé une immense énergie interne pour un piètre résultat. Un tel scénario est plaisant à entendre mais tient-il tous les fils du problème auquel l’Eglise est aujourd’hui confrontée ?

Le changement de statut des normes morales en idéal bute sur au moins deux points dont on peut raisonnablement penser qu’ils sont intrinsèques à la doctrine catholique : les sacrements et l’anthropologie du corps sexué. Peut-on penser que les divorcés remariés ou les personnes assumant en conscience une vie sexuelle hors mariage peuvent recevoir l’absolution dans le sacrement de la réconciliation ? Cela signifierait que l’Eglise remet en cause le lien nécessaire entre réception du pardon et repentir. Comment, en effet, accueillir le pardon pour un acte envers lequel on n’éprouve aucun repentir ni ferme résolution de ne plus l’accomplir ?

Adultère et fornication

Dans l’Eglise de demain, l’adultère et la fornication deviendraient-ils les seuls péchés pardonnés sans nécessaire repentir ? Cela remettrait en cause l’articulation catholique fondamentale entre grâce et liberté humaine. En effet, le principe anthropologique gouvernant la morale sexuelle de l’Eglise est l’unité de la personne qui fait de son corps sexué l’expression de son choix.

L’indissolubilité du mariage est fondée sur la nature du lien réciproque noué par un don de soi signifié dans le don de son corps à l’autre. Dès lors, toute relation sexuelle vécue en dehors du lien conjugal est perçue comme un langage mensonger car ne respectant par la signification objective de la nature sexuée de la personne humaine.

On pensera ce que l’on voudra de telles doctrines anthropologique et sacramentelle, mais elles représentent des contraintes internes à la réflexion pastorale engagée au plus haut sommet de l’Eglise. Bref, il n’est pas sûr que les tensions entre le catholicisme et le monde moderne se dissipent prochainement.

Thibaud Collin, professeur de philosophie en classes préparatoires au collège Stanislas (Paris) et auteur de Divorcés remariés. L’Eglise va-t-elle (enfin) évoluer ? (Desclée de Brouwer, 2014).

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