Les terroristes ne sont pas sans droit(s)

Les terroristes sont des êtres humains, Oussama Ben Laden ne fait pas exception ici. En tant que tels, ils sont titulaires des droits de l'homme, y compris le droit à la vie, le droit d'être traité avec humanité et le droit à un procès pénal équitable. Les droits de l'homme fondamentaux restent valables même dans un état d'urgence. En temps de paix, le droit à la vie n'est suspendu que d'une manière exceptionnelle, en particulier dans les cas de légitime défense. S'il s'avère exact que Ben Laden était désarmé et s'il a été tué d'une manière ciblée, alors la légitime défense peut être exclue car elle doit être la réponse nécessaire à une agression immédiate et illégale à l'encontre des soldats des forces spéciales entrés en action. La supposition erronée d'une situation de légitime défense est une autre excuse possible même si l'acte homicide reste alors objectivement illégal. À la différence de ce que le président américain semble estimer, la "liquidation" de  Ben Laden dessert ainsi la justice et non pas le contraire.

Un Etat de droit se doit de traiter même ses ennemis avec humanité. Il arrête les terroristes afin de les déférer à la justice. A l'image de ce que l'Allemagne a fait avec la RAF (Fraction armée rouge) et fait aujourd'hui avec les membres d'Al-Qaïda. Si la culpabilité des personnes en question est constatée par un tribunal impartial, des condamnations à des peines fermes, allant jusqu'à la peine de mort aux États-Unis, peuvent en résulter. Une liquidation sans action en justice s'apparente à une exécution extralégale chose pour laquelle des États de non-droit sont dénoncés régulièrement devant les organismes de droits de l'homme.

Il est vrai qu'en temps de guerre, lors d'un "conflit armé" au sens du droit international humanitaire, la situation juridique se présente quelque peu différemment. Ainsi, des "liquidations" sont admises, pour autant que les cibles participent directement aux hostilités et ce pendant la durée de cette participation. Dans un conflit international l'interdiction de tuer est abrogée par rapport aux combattants et dans un conflit non-international par rapport aux combattants de fait. Ceux-ci peuvent même être tués d'une manière ciblée dans certaines circonstances en particulier en tenant compte de la nécessaire proportionnalité des moyens, c'est-à-dire en donnant la préférence aux mesures moins lourdes (arrestation) et en évitant des victimes civiles superflues. Si ceci devait se produire sur un territoire étranger, l'accord de l'État en question serait nécessaire, sans quoi il s'agirait d'une atteinte à sa souveraineté en violation du droit international. Contrairement à ce qu'on entend parfois actuellement, les résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU au sujet de la lutte contre le terrorisme international et contre Al-Qaïda en particulier (résolution 1267 de 1999 ainsi que résolution 1974 de 2011), n'autorisent ni des opérations sur un territoire étranger ni des arrestations, voire des liquidations de terroristes quelconques. Seule l'obligation classique d'extrader ou de juger (aut dedere aut judicare) des suspects terroristes peut être déduite de ces textes.

Dans le cas d'espèce, la licéité d'une liquidation ciblée ne peut d'ores et déjà être admise car les États-Unis – contrairement à la rhétorique trompeuse de la "guerre contre le terrorisme" – ne se trouvent pas dans un conflit armé avec Al-Qaïda. Un réseau terroriste ayant des structures souples et organisé de manière décentralisée ne remplit pas la condition de "partie au conflit" au sens du droit international humanitaire. Il lui manque pour ce faire une structure de commandement militaire centralisée et hiérarchique ainsi que le contrôle d'une certaine partie d'un territoire. Si l'on devait malgré cela proclamer un conflit armé mondial contre Al-Qaida, le monde entier deviendrait alors un champ de bataille ; la conception classique d'un conflit armé limité à un différend militaire sur un territoire national bien déterminé serait étendue à l'infini.

Nul ne doute que des franchissements de frontières lors d'un conflit armé puissent être fréquents, en particulier dans le cadre du repli d'une partie au conflit sur le territoire d'un pays voisin (ainsi les Talibans afghans se replient-ils fréquemment au Pakistan voisin). Mais cette expansion territoriale reste étroitement liée au conflit initial et ne transforme pas le monde entier en champ de bataille, une transformation aux conséquences imprévisibles pour les suspects de terrorisme identifiés comme cibles militaires. Une telle lutte mondiale porterait en outre la guerre dans tous les pays dans lesquels des "terroristes" sont présents, même si l'État belligérant n'est pas en état de guerre avec ces mêmes pays. En fin de compte et même si on devait admettre l'existence d'un conflit armé entre les États-Unis et Al-Qaïda, seuls ceux qui participent directement aux hostilités peuvent être les cibles d'une attaque militaire. Pour cela, il leur faudrait mener ou au moins planifier eux-mêmes d'une manière déterminante des opérations militaires et exercer une fonction continue de combattant ; cette condition ne paraît pas remplie dans le cas de Ben Laden, étant donné que, selon l'opinion majoritaire, il n'était plus que le dirigeant moral d'Al-Qaïda, sans influence aucune sur les opérations militaires concrètes.

Au-delà de ces questions juridiques complexes qui ne font en aucun cas l'unanimité, une autre question bien plus fondamentale se pose : l'Occident veut-il refuser tout droit à la vie et tous les droits de l'homme à ses ennemis terroristes et ainsi les qualifier de cible militaire sans protection aucune ? Poser la question équivaut à répondre par la négative. La supériorité morale et politique d'une société libre et démocratique se traduit tout d'abord par le fait de réserver un traitement juste à ses ennemis, reconnus comme des individus jouissants de droits et non par l'annulation de ceux-ci. On ne mène pas une "guerre" contre des terroristes mais on les combat à l'aide des moyens du droit pénal d'un Etat de droit. C'est l'unique moyen de rendre service à la justice et du seul fondement d'une réelle victoire sur l'injustice terroriste.

Par Kai Ambos, professeur de droit pénal à la Georg-August-Universität Göttingen.

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