Les traits historiques distinctifs de Jérusalem pourraient disparaître

Alors que l’opinion publique mondiale suit de près l’impact du transfert controversé de l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem, peu nombreux sont ceux qui se sont aperçus du fait que la ville, dont l’importance symbolique pour les trois religions monothéistes n’échappe à personne, risque perdre son caractère spécifique. Car si les projets qui se trouvent actuellement sur le point d’être approuvés par la municipalité et l’Etat sont réalisés, les traits historiques distinctifs de Jérusalem, difficilement préservés jusqu’à ces derniers temps, disparaîtront pour toujours.

On jauge l’énormité de la perte. Ce n’est pas seulement la construction de quelques dizaines d’immeubles de trente étages dans Jérusalem-Ouest qui est en cause, même s’il en résulte nécessairement un déséquilibre néfaste avec les modestes proportions de la vieille ville et sa ligne d’horizon. Les projets en cours ont une signification politique immédiate et seront d’un effet désastreux sur l’ensemble de la ville. C’est ainsi que le paysage archaïque, qui depuis des générations attire pèlerins et touristes du monde entier, en sera irrémédiablement affecté.

Les planificateurs et architectes britanniques, qui avaient prudemment géré la ville de Jérusalem à l’époque du mandat britannique (1920-1948), ont laissé un héritage bénéfique, qui a survécu jusqu’au début de notre siècle. Reconnaissant l’importance de la vieille ville comme un symbole universel, ils avaient imposé des règles très strictes à la construction non seulement à l’intérieur des murailles mais aux alentours. C’est ainsi que la vieille ville a pu préserver aussi bien son caractère médiéval qu’une vue imprenable sur les collines nues et le désert qui l’entourent. Bien qu’au fil du temps, les restrictions furent quelque peu relâchées, la vieille ville a pu sauvegarder son statut dominant.

L’impact des intérêts politiques

Cet état des choses est sur le point de changer d’une manière dramatique. Depuis l’avènement, en 2008, de la nouvelle municipalité de droite nationaliste, on constate un déclin majeur dans l’adhésion aux principes de conservation urbaine pour deux raisons. En premier lieu vient la capitulation, sur toute la ligne, devant les exigences de la droite de judaïser la ville à tout prix. La seconde raison, liée à la première, provient du fait que le soin de protéger le site de la vieille ville a été remis entre les mains de bureaucrates et de divers professionnels au service des intérêts politiques. Cette situation déjà dramatique vient de s’aggraver encore avec l’arrivée du nouveau locataire de l’hôtel de ville. Homme de la droite nationaliste religieuse, M. Moshe Leon [élu mi-novembre] vient de former une coalition à une écrasante majorité religieuse.

Assurément, il n’est pas facile d’administrer une ville aussi bariolée, divisée et économiquement désavantagée que Jérusalem. Les tensions, conflits et intérêts divergents qui opposent juifs religieux et laïques, Juifs et Arabes, s’ajoutent aux difficultés inhérentes à toute planification urbaine. Mais les aspirations politiques du maire sortant, Nir Barkat (2008-2018), qui se présente bientôt aux primaires du Likoud (droite), l’ont conduit depuis dix ans à prendre des décisions destinées avant tout à satisfaire la droite nationaliste et les communautés orthodoxes.

La décision récente d’accorder à Elad, une organisation de la droite dure qui se consacre à la colonisation des territoires conquis en 1967, le permis de construire pour un colossal centre de visiteurs à vingt mètres seulement des murailles de la vieille ville est venue détruire l’ultime obstacle qui protégeait encore la ville historique.

C’est ainsi que, tout récemment, on a appris que le dernier projet du maire avant son départ, considéré dans le passé comme trop bizarre pour être sérieusement pris en considération, va finalement être mis en chantier. Il s’agit de la construction d’un énorme funiculaire qui reliera Jérusalem-Ouest à la vieille ville, jusqu’aux murailles mêmes de la cité historique.

L’argument officiel évoque la nécessité de réduire les encombrements de la circulation autour des sites historiques, mais cette démarche aura également une conséquence politique : on aura ainsi évité que les visiteurs ne s’attardent dans la ville arabe, ses quartiers historiques et ses centres commerciaux. Venant de la partie juive de la ville, ils atterriront directement au centre de visiteurs situé aux abords du quartier juif de la vieille ville, et agencé et entretenu par les soins des colons.

Des décisions potentiellement irréversibles

Il est vrai que, comme dans toutes les villes historiques où les touristes abondent, la circulation à l’intérieur de petites ruelles de la vieille ville est extrêmement difficile, mais le funiculaire envisagé ne fournit pas une solution pratique véritable. Alors que ses promoteurs prétendent que les 73 cabines qui seront mises en circulation pourront transporter 3 000 passagers par heure, ce chiffre est hautement improbable car la capacité de chaque cabine ne dépasse pas dix passagers.

Cependant, là n’est pas le fond du problème : l’essentiel réside dans la véritable horreur esthétique que suscitent la douzaine de cabines constamment en mouvement face aux vieilles murailles, suspendues à des câbles accrochés à 15 pylônes géants de 26 mètres de hauteur – l’équivalent d’une maison de huit étages.

De plus, le soin de mettre ce projet à exécution est confié à un architecte qui manque totalement d’expérience dans le domaine de la conservation et la préservation de sites historiques. C’est ainsi que celui-ci propose de mettre en place quatre énormes stations d’embarquement, totalement hors contexte local, dont l’une serait adjacente à l’abbaye de la Dormition, sur le mont Sion, ce qui revient à asséner un coup mortel à l’une des plus fameuses icônes de la vieille ville.

Car, contrairement aux bourdes politiques, des décisions malheureuses en architecture sont généralement irréversibles. Si ce déplorable projet se matérialise, il ne restera, dans quelques années, que des peintures et des photographies pour rappeler le caractère de Jérusalem comme symbole spirituel universel.

Ziva Sternhell, Maîtresse de conférences émérite à l’Ecole des beaux-arts Bezalel de Jérusalem. Il est également critique d’architecture et de culture au journal Haaretz. Il est également critique d’architecture et de culture au journal Haaretz.

Deja una respuesta

Tu dirección de correo electrónico no será publicada. Los campos obligatorios están marcados con *