Les transferts de technologies bas carbone n’ont pas attendu la COP21

La question du transfert vers le Sud des technologies permettant de diminuer les émissions de carbone historiquement développées dans les pays techniquement avancés du Nord est au cœur de la négociation climatique depuis la signature de la Convention climat en 1992. Ces discussions sont difficiles.

D’un côté, les pays en voie de développement considèrent le transfert de technologies comme un processus onéreux qui devrait être en partie pris en charge par les pays développés. Ils militent en outre pour un relâchement du droit de la propriété intellectuelle, perçu comme un obstacle potentiel à la diffusion des innovations.

De l’autre, les pays développés craignent que des politiques ambitieuses de transfert technologique n’endommagent la compétitivité de leurs entreprises. Cette négociation patine depuis longtemps. Son principal résultat concret est la mise en place en 2013 du « Mécanisme technologique », un modeste dispositif de coordination qui n’a fait que créer un nouveau forum pour poursuivre la discussion sur des solutions plus concrètes restant à élaborer.

Le résultat est donc limité pour une négociation entamée il y a plus de vingt ans, et peu de progrès sont attendus sur ce sujet à la COP21. Faut-il, pour autant, s’en inquiéter ? La question peut paraître provocatrice eu égard à l’importance d’une diffusion globale, massive et rapide des technologies de lutte contre le changement climatique.

Les pays émergents intégrés au marché mondial

Or les données statistiques montrent qu’en dépit de l’absence de coordination internationale les technologies bas carbone se diffusent déjà largement vers les pays en développement dans lesquels elles sont aujourd’hui utiles, à savoir les économies émergentes où la croissance des émissions est la plus rapide.

Quelques chiffres : 15,5 % des brevets protégeant des technologies bas carbone déposés à l’étranger par leurs inventeurs le sont aujourd’hui en Chine. C’est un résultat très satisfaisant puisque cette « part de marché » est légèrement supérieure au poids relatif de la Chine dans l’économie mondiale (environ 11 % du PIB en 2013). Le Brésil a attiré 2,5 % des Investissements directs à l’étranger réalisés dans les technologies bas carbone dans le monde en 2011, en cohérence avec sa contribution au PIB mondial de 2,9 %.

Dernier exemple : 1,7 % des importations mondiales de biens d’équipement bas carbone concernait le Mexique à la fin des années 2000 (pour 2,2 % du PIB mondial). Les pays émergents sont donc intégrés au marché mondial des technologies bas carbone. Cela résulte de la conjonction de deux facteurs : une demande pour les technologies vertes alimentée en partie par les pays industrialisés couplée à la globalisation économique qui a conduit les entreprises du Nord à y transférer leurs technologies.

On peut illustrer ces mécanismes avec l’exemple maintenant bien connu des panneaux photovoltaïques fabriqués en Chine. Les chinois ont acquis les technologies de production des panneaux en achetant à des entreprises allemandes et américaines des lignes de production clé en main. Ces usines ont ensuite fonctionné pour satisfaire une demande provenant des pays industrialisés. La négociation sur les technologies semble donc pouvoir continuer à patiner sans conséquence sérieuse.

Ne traiter que l’essentiel

Certes, les pays moins avancés ne sont aujourd’hui pas encore connectés aux flux internationaux de technologies. Mais leur faible développement économique s’accompagne à court terme de faibles émissions de carbone, ce qui rend le problème moins urgent. Une fois engagés dans le développement économique, et donc quand leurs émissions augmenteront, on peut supposer que les mêmes causes produiront les mêmes effets, leur insertion dans le marché mondial favorisant la diffusion des technologies bas carbone. Au cours des trente dernières années, la négociation climatique s’est continuellement complexifiée et a multiplié les sujets de discussion souvent conflictuels, à l’instar des transferts de technologies et de la propriété intellectuelle.

Le nombre de groupes de travail, de comités et autres expert groups n’a cessé d’augmenter. Pas moins de 20 000 négociateurs étaient ainsi attendus à Paris alors qu’il s’agit, nous dit-on, de se mettre d’accord sur un texte de 20 à 30 pages. Le cas des transferts de technologies illustre que les négociations gagneraient à ne traiter que l’essentiel : la définition d’objectifs ambitieux de limitation des émissions créant une demande pour les technologies vertes au Nord et au Sud et de vecteurs permettant aux pays industrialisés de compenser le Sud pour leur responsabilité historique dans la constitution du stock de carbone qui réchauffe aujourd’hui la planète.

Antoine Dechezleprêtre (Grantham Research Institute for Climate Change and the Environment, London School of Economics) et Matthieu Glachant (Mines ParisTech, PSL – Research University)

Deja una respuesta

Tu dirección de correo electrónico no será publicada. Los campos obligatorios están marcados con *