Les Verts doivent devenir des concurrents crédibles dans la conquête du pouvoir national

Une vague verte s’est soulevée en Europe en cette fin mai. Quelque 21 % pour les Grünen en Allemagne, deuxième force politique ; 16 % en Finlande pour la Ligue verte, deuxième force politique ; 15 % pour le Green Party en Irlande, troisième force politique. Les poussées écologistes sont légion et le cas de la France, où Europe Ecologie-Les Verts (EELV) emporte la troisième place avec 13,5 %, n’est pas un cas isolé.

Cet élan écologiste s’était déjà manifesté dans les succès des marches pour le climat, en France comme ailleurs. Il a trouvé une traduction électorale lors de ce scrutin, même s’il n’a pas tout emporté sur son passage. Car la vague n’est pas une déferlante. Nulle part, les Verts n’occupent la première position. Et à la poussée des Verts répond, comme par effet de symétrie, le succès des partis de droite radicale.

Pour autant, ces élections européennes marquent incontestablement une nouvelle étape dans le développement électoral des Verts au niveau européen. Jamais ils n’avaient atteint un tel niveau sur l’ensemble des pays de l’Union européenne (UE), avec une moyenne des scores nationaux qui s’élève, au moment où nous écrivons ces lignes, à 9,5 %. Et jamais ils n’avaient envoyé autant de députés au Parlement européen : avec plus de 70 membres, le groupe des Verts-Alliance libre européenne (ALE) va devenir le quatrième groupe du Parlement européen.

Dans plusieurs pays, les Verts ont une fenêtre d’opportunité pour modifier durablement les équilibres politiques sur la gauche des systèmes partisans, un espace historiquement dominé par les sociaux-démocrates. En Allemagne, le SPD poursuit son déclin au profit des Grünen. En France, le PS s’est effondré et a été évincé du club des partis de gouvernement. En parallèle, au Luxembourg, les Verts réalisent un score record de 19 %, alors qu’ils participent à un gouvernement de coalition avec les libéraux et les sociaux-démocrates.

De profondes divisions géographiques

Dresser cette liste des succès écologistes, concentrés dans les pays d’Europe de l’Ouest, c’est aussi pointer de profondes divisions géographiques au sein de l’Union européenne – avec quatre blocs distincts. Les Verts irlandais et britanniques, jadis légèrement en retrait, ont rejoint leurs homologues d’Europe continentale au-delà des 10 %. Ce n’est pas le cas en Europe du Sud, où les sociaux-démocrates se maintiennent à de bons niveaux, ou en Europe centrale et orientale, où les partis verts restent faibles et concurrencés dans leur espace politique par des partis démocrates radicaux de type Parti pirate.

Deux autres éléments invitent à nuancer l’ampleur de la poussée des Verts. Le premier est lié à la nature des élections européennes : des scrutins de second ordre, qui profitent traditionnellement aux forces périphériques aux dépens des partis de gouvernement. De fait, les scores obtenus par les Verts aux européennes ont toujours été meilleurs que leurs résultats au niveau national (2,5 points de plus en moyenne sur la période 1979-2014). Cette année, les mêmes partis obtiennent en moyenne 7,5 points de plus que lors de la dernière élection nationale de référence. Un record, là encore, qui peut laisser augurer une transformation durable des équilibres partisans. Mais une partie de ce succès résulte de l’importance toute relative que la majorité des citoyens accordent aux élections européennes. Le second élément de nuance est lié à la division du mouvement écologiste : les partis verts souffrent parfois de la concurrence de listes marginales se revendiquant de l’écologie, bénéficiant de la vague verte mais amoindrissant leurs scores et leur représentation parlementaire. Ce fut le cas cette année en Allemagne, en France ou encore au Portugal.

Quelle sera la capacité du groupe renforcé des Verts-ALE à peser sur les rapports de force au sein du Parlement européen, et plus largement sur les politiques européennes ? L’affaiblissement des conservateurs et des sociaux-démocrates ouvre le jeu. Les Verts pourraient ainsi profiter des négociations qui s’ouvrent. Parviendront-ils à obtenir des vice-présidences au Parlement européen ? C’est probable. Ces positions sont importantes pour eux. Très présents dans la vie parlementaire européenne, les Verts sont habitués à la recherche de compromis qui prévaut à Bruxelles et Strasbourg. Cela leur a permis d’obtenir des victoires importantes à leurs yeux lors du mandat précédent, sur la pêche électrique ou la protection des lanceurs d’alerte par exemple.

Iront-ils jusqu’à voir nommer un commissaire écologiste ? Une telle situation serait inédite et dépend notamment des équilibres des gouvernements auxquels ils participent, en Suède ou au Luxembourg par exemple. Cela rappelle à quel point le centre de gravité politique de l’UE penche toujours largement du côté des Etats. S’ils veulent transformer les politiques européennes, les Verts doivent désormais devenir des concurrents crédibles dans la conquête du pouvoir national. Cela implique de convaincre de leur capacité à diriger des exécutifs – ce qu’ils font déjà dans quelques régions ou communes. La vague verte n’est certes pas une déferlante. Mais elle permet à cette famille politique de faire un pas de plus dans cette direction.

Florent Gougou et Simon Persico sont enseignants-chercheurs à Sciences Po Grenoble et au laboratoire Pacte.

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