Les "Vingt" doivent réfléchir à leur avenir institutionnel

L'approfondissement de la globalisation nécessite une nouvelle gouvernance mondiale. Le monde a radicalement changé, notamment à la suite de la chute du mur de Berlin (1989) et de l'adhésion de la Chine à l'Organisation mondiale du commerce, OMC, (2001). La globalisation se traduira inéluctablement par l'intégration dans le marché monde de toutes les économies nationales. La crise a confirmé ce haut niveau d'interdépendance, et a révélé que la vitesse de propagation des divers chocs s'était accélérée. Nul ne conçoit qu'il puisse y avoir une réponse nationale aux divers risques que la planète doit affronter, qu'ils soient financiers ou économiques, qu'ils relèvent du terrorisme ou du réchauffement climatique.

Le rythme des marchés est toujours plus rapide que celui des institutions et des conceptions sur lesquelles elles reposent, qui ne se réforment généralement que dans les périodes de crise. La crise contribue souvent à remettre les pendules institutionnelles à l'heure. Les phénomènes conjugués d'élargissement et d'approfondissement de la globalisation auraient dû être accompagnés de la mise en place d'institutions permettant la régulation de l'économie monde.

Car les marchés ont besoin de règles, à la fois claires et appliquées. Or les règles sont restées nationales ou au mieux régionales comme pour l'Europe, alors que les marchés débordaient de ces cadres étatiques et géographiques trop étroits. Pour accompagner la globalisation, maximiser ses effets positifs sur la croissance et minimiser les effets pervers qu'elle entraîne, il eût fallu introduire ces règles nouvelles à vocation mondiale dès les années 1990, avec des institutions ad hoc susceptibles de les élaborer et de les faire appliquer.

Le sommet du G20 devrait à la fois faire émerger ces nouvelles institutions de régulation mondiale et veiller à ce que les nouvelles règles ne soient pas biaisées par le niveau aigu d'aversion aux risques qui caractérise toute période post-traumatique. Le G20 devrait indiquer où va la globalisation, donner du sens à ce mouvement, et indiquer les moyens à suivre pour qu'il réussisse. Cela paraît plus important que d'introduire des taxes et de s'occuper des traders... Le G20, même s'il existe depuis 1999, à la suite de la crise financière asiatique, a connu une rénovation profonde après la faillite de la banque d'affaires Lehman Brothers (2008). Seule la menace d'une crise financière systémique a eu le pouvoir de mobiliser les Etats sur la réforme de la gouvernance du monde. Et le rôle de la France a été crucial.

La représentativité du G20 est incontestable : il représente 90 % du PIB mondial et les deux tiers de la population. Les grands pays émergents sont présents : Russie, Brésil, Chine. Toutefois, le statut du G20 lui-même est ambigu. Il rassemble des chefs de gouvernement qui, de sommet en sommet, tentent de dégager un consensus. Chaque pays a théoriquement une seule voix, même si l'on ne vote jamais. Il est impossible au travers du G20 d'imposer quoi que ce soit à un Etat qui garde sa souveraineté.

A cet égard, les participants, même s'ils arrivent à un consensus, ne sont tenus qu'à un "best effort" (meilleur effort) : il faut que les règles envisagées soient ensuite adoptées par les diverses organisations internationales et par les parlements nationaux. Le G20 devrait réfléchir à son avenir "constitutionnel". On peut faire un parallèle avec l'Union européenne. La crise a montré les faiblesses de l'Union dues à l'absence de gouvernement économique européen. Tôt ou tard, il faudra franchir cette étape qui supposera un abandon partiel mais nécessaire de souveraineté.

Dès le sommet de Pittsburgh (septembre 2009), le G20 s'accordait à dire que les diverses organisations internationales devaient être refondées, et reposer sur une nouvelle constitution globale. Ce sont en fait ces institutions qui sont les relais indispensables pour mettre en oeuvre les intentions du G20, car rien ne sert d'avoir les mains pleines si l'on n'a pas de bras.

La seule institution à proprement parler née du G20 est le Conseil de stabilité financière, qui a été créé au sommet de Londres (avril 2009). D'autres institutions jouant un rôle global - telles l'IAIS pour l'assurance, le Comité de Bâle pour la banque - ont des statuts à revoir : ceci devrait être possible car les pays du G20 ont la majorité dans chacune d'entre elles.

Sur les règles à établir, la recherche du consensus limite certes la portée du G20, mais elle le protège aussi, car des projets nationaux infondés sont rejetés après examen par cette instance. Par ailleurs, les annonces ne sont pas toujours suivies de mises en oeuvre. Il n'est pas surprenant de voir que parmi les sujets mis à l'agenda du sommet de Toronto figure... l'examen des mesures prises par les pays participants depuis le dernier sommet. Un peu de pression morale ne peut pas faire de mal !

Sur le reste, le G20 a lancé depuis 2008 beaucoup de chantiers. Peu d'entre eux ont abouti à ce jour. Cela n'est pas surprenant car les intérêts des pays participants restent divergents. Chaque pays a son propre calendrier électoral, et son propre agenda politique. Le G20 n'a pas vu ou voulu traiter les problèmes de dette souveraine et cette question a émergé avec force sans solution préétudiée. Il devrait aujourd'hui tenter de coordonner la réduction des déficits publics, véritable menace pour la stabilité. Et s'intéresser au nouvel ordre monétaire mondial pour réduire les tensions croissantes. La résorption des déséquilibres des balances extérieures passe par là : à ce titre, les décisions prises par la Chine avant le G20 vont dans le bon sens, ce pays ayant décidé d'éviter d'être mis au banc des accusés.

Les projets de taxation des établissements de crédit se heurtent heureusement au réalisme de certains pays, comme le Canada, qui considèrent que c'est une mauvaise réponse au problème de l'instabilité financière. Un domaine où le G20 a été efficace est celui de la réduction des paradis fiscaux, qui s'explique par l'intérêt bien compris de ses membres à augmenter leurs recettes fiscales. Enfin, il faut que le G20 veille à éviter le retour du protectionnisme, menace permanente qu'une crise durable suscite toujours. Et ce serait bien que la Russie puisse entrer dans l'OMC !

L'efficacité du G20 soulève trois interrogations. Premièrement, la répétition des sommets peut banaliser la formule, surtout si l'on privilégie les intentions aux décisions et si les quelques décisions prises ne sont pas suivies d'effets. Deuxièmement, l'échec relatif de la coordination des politiques macroéconomiques et macrofinancières ne contribue pas à la stabilité. Troisièmement, l'absence d'interlocuteurs au G20 est un problème car la (quasi) totalité des organisations de la société civile n'ont pas de dimension globale.

Il est inutile que le G20 se précipite à vouloir réguler et légiférer tous azimuts. Qu'il se consacre à l'essentiel : penser une nouvelle gouvernance globale, refonder les institutions existantes, créer des institutions nouvelles ad hoc, se donner les moyens d'agir et convaincre que la globalisation bien menée, avec des règles simples et claires, est la seule voie du retour à une prospérité durable et partagée.

Denis Kessler, président du groupe Scor, ancien vice-président du Medef.