L'ETA a décidé de livrer ses armes, à la France de saisir cette occasion

L'ETA a annoncé il y a plus de trois semaines qu'elle était maintenant prête à livrer « toutes ses armes, jusqu'à la dernière cache», confirmant que la mise hors d'usage de quelques armes et explosifs, sous les caméras d'une commission indépendante, et révélée quelques jours avant, était seulement le prélude d'un désarmement complet.

La nouvelle n'a pas suscité de grandes réactions en France : depuis l'annonce par l'ETA, en octobre 2011, qu'elle renonçait à la lutte armée, il n'y a eu effectivement aucune action terroriste. Pour l'opinion française, le terrorisme basque est le problème d'hier : les polices espagnole et française ont courageusement fait leur travail, et l'ETA est définitivement écrasée. Elle a renoncé à ses revendications historiques, et maintenant, sans contrepartie, sans la moindre concession au terrorisme, sans qu'il y ait eu de négociation ni d'accord secret, elle a décidé unilatéralement de désarmer. C'est un beau succès des valeurs démocratiques et citoyennes qui définissent l'Union européenne : le dernier conflit armé en Europe occidentale est enfin terminé.

Pourtant, la phase qui commence est peut-être la plus critique : tant qu'un mouvement terroriste conserve ses armes, il reste une menace. Les armes, le savoir-faire des terroristes peuvent être transférés à d'autres terroristes, vendus à la grande criminalité, et des scissions sont toujours possibles au sein d'un groupe au bord de la disparition. Le démantèlement de l'ETA passe par le préalable de son désarmement complet, et ce désarmement concerne au premier chef la France.

Quelques uns des terroristes les plus endurcis de l'ETA sont français, et c'est principalement à partir de la France que l'ETA a opéré. Des commandos de l'ETA ont été arrêtés en France, des caches d'armes ont été découvertes non seulement dans le sud-ouest, mais en Alsace, en Bretagne, dans le Jura, en Haute-Savoie… La plupart des régions françaises sont sans doute concernées : la réalité est que c'est en France que l'ETA s'est procuré des armes, a fabriqué des bombes, et a planifié ses opérations. Et c'est en France que se trouvent maintenant la plupart des armes que l'ETA est prête à livrer. Et il y en a encore beaucoup : selon des sources bien informées, l'ETA dispose de tonnes d'explosifs, de centaines d'armes avec leurs stocks de munitions, de grenades, peut-être de lance-roquettes, de détonateurs, sans compter vingt à trente des meilleurs « experts » en matière de télécommandes de bombes.

Comment procéder au désarmement ? A juste titre, ni l'Espagne ni la France ne veulent offrir à l'ETA un succès de propagande, ou donner une apparence de légitimité à une organisation dont la défaite est d'abord le résultat d'une action policière implacable qui doit se poursuivre. Mais l'action policière peut-elle suffire dans la phase de désarmement ? Les terroristes ne vont pas se présenter à la gendarmerie du coin pour rendre leurs armes et se faire arrêter. Il faut inventer une méthode qui permette de récupérer efficacement et rapidement les armes.

La situation à laquelle est confrontée la France n'est pas sans précédent : dans d'autres conflits, il a fallu concilier la non reconnaissance de la subversion avec les impératifs pratiques du désarmement. La réponse pourrait être dans le recours à une tierce partie. Pour assurer un désarmement effectif de l'IRA d'Irlande du Nord, le Parlement britannique adopta une loi autorisant une commission internationale, composée de personnalités respectées, à prendre les contacts nécessaires et à superviser, dans la plus absolue discrétion, les opérations de désarmement.

Une telle procédure n'est pas dans les traditions françaises, mais la France ne peut ignorer la décision de l'ETA. Aucun gouvernement dans le monde n'a jamais dit non à un groupe terroriste qui désarmait, et il ne faut pas que l'ETA démantèle ses structures de commandement avant que toutes les armes n'aient été récupérées : le risque de leur transfert à d'autres terroristes ou à la grande criminalité serait trop grand.

La France doit continuer de refuser une « négociation », et l'ETA doit savoir que toute tentative de médiatisation, toute condition qu'elle mettrait au désarmement –par exemple sur les prisonniers détenus en France - se verrait opposer une fin de non recevoir. La France doit agir en parfaite transparence avec l'Espagne, où la polarisation sur la question basque reste extrême. Le gouvernement espagnol se borne à demander le démantèlement de l'ETA, sans pour le moment vouloir aborder publiquement la question de son désarmement. Cette position est compréhensible, compte tenu des souffrances que le terrorisme a infligées à l'Espagne, et il faudra sans nul doute des décennies pour que les blessures se referment. Mais il est remarquable que le président du gouvernement basque, M. Urkullu, et tous les partis de la région aient bien accueilli la décision de l'ETA. La France, qui serait concernée au premier chef par les conséquences d'un démantèlement de l'ETA sans désarmement effectif, doit les écouter. Elle aura ainsi contribué à régler le plus long conflit armé d'Europe.

Par Jean-Marie Guéhenno, ancien secrétaire général adjoint des Nations Unies, chargé des opérations de maintien de la paix, membre du Conseil européen des relations internationales.

Deja una respuesta

Tu dirección de correo electrónico no será publicada. Los campos obligatorios están marcados con *