L'Etat hébreu veut-il la paix ?

Par Karine Bennafla, géographe, chercheure à l'université Lyon-II et Leïla Vignal géographe détachée au CNRS (LIBERATION, 24/07/06):

Le silence ou les condamnations timorées de la communauté internationale face aux actions militaires engagées par le gouvernement israélien ont alimenté l'escalade actuelle au Proche-Orient. Faut-il rappeler que ces morts palestiniens, libanais mais aussi israéliens paient pour trois soldats enlevés et susceptibles d'être échangés contre une petite partie des dizaines de milliers de prisonniers palestiniens et libanais qui croupissent parfois sans jugement dans les prisons israéliennes ? Que les représentants palestiniens arrêtés ont été élus au terme d'un processus démocratique rare au Proche-Orient, encouragé et soutenu par les instances internationales, Etats-Unis et Union européenne en tête ? Que la branche «réaliste» du Hamas en Palestine avait avancé en juin dernier dans le sens d'une reconnaissance de facto des frontières de 1967, et donc d'Israël ?

La légitimité invoquée par le gouvernement israélien pour emprisonner un gouvernement démocratiquement élu est la lutte contre le terrorisme. Certes, mais la pratique des assassinats ciblés par le gouvernement israélien (accompagnés presque à chaque fois de morts civils) et le recours aux punitions collectives affectant au premier chef la population civile (en Palestine comme au Liban) sont tout autant du terrorisme. Cessons de jouer avec les mots : le gouvernement israélien n'attendait qu'une occasion pour intervenir au Liban. Le Hezbollah la lui a fournie sur un plateau, faisant peu de cas des risques d'une déstabilisation nationale et révélant la difficulté d'un parti, légitimement entré en politique en 1990, à abandonner ses anciens oripeaux de milice de guerre. L'affrontement était prévisible : depuis le retrait militaire syrien au Liban, il y a plus d'un an, le trafic d'armes est recrudescent aux frontières syro-libanaises.

Comme lors de son intervention en 1976, le gouvernement israélien met à profit la faiblesse du pouvoir libanais, dont les chefs de file, paralysés par des querelles internes, sont incapables de perpétuer l'union nationale esquissée lors du printemps de Beyrouth (mars 2005). Doté d'un territoire sans profondeur stratégique, le gouvernement israélien tente à nouveau de déplacer la guerre dans un pays tiers, le Liban. En vain. Les roquettes sur Haïfa ou Tibériade ont révélé la capacité du Hezbollah à atteindre des sites sensibles au coeur du territoire israélien. La politique de la force déployée au Liban, d'une violence ahurissante, est désolante à plus d'un titre : en visant des centrales électriques et des infrastructures de communication (ponts, routes, aéroports) dans tout le pays, elle affecte une population multiconfessionnelle qui ne se reconnaît pas, loin s'en faut, dans les agissements du Hezbollah, et elle annihile tous les efforts de reconstruction entrepris à grands frais, depuis une dizaine d'années, pour effacer les ravages d'une guerre civile de quinze ans. Quel sens donner aux bombardements sur la banlieue chic à dominante chrétienne de Jounieh, aux silos du port de Beyrouth ou aux environs du poste-frontière de Masnaa, l'un des rares points de sortie terrestre du Liban rejoint par des civils désemparés ?

Pour mettre fin à ses bombardements sur le Liban, le gouvernement israélien réclame l'application de la résolution 1559 de l'ONU sur le désarmement du Hezbollah. Cet appel au droit international, renouvelé par Jacques Chirac le 16 juillet, est d'une amère ironie de la part d'un Etat qui le transgresse depuis trente ans : bafouée, la résolution 242 de l'ONU (1967) demandant le retrait des territoires occupés par la force ; bafoué, l'article 49 de la quatrième convention de Genève (1949) interdisant à tout Etat de transférer sa population sur les territoires qu'il occupe militairement ; bafouée, la résolution 478 du Conseil de sécurité (1980) qui déclare nulle et non avenue la loi israélienne décrétant Jérusalem «capitale éternelle, une et indivisible» de l'Etat hébreu ; écarté, l'avis consultatif de la Cour internationale de justice déclarant «illégale» la construction du mur de séparation en Cisjordanie (2004).

Le silence complice de la communauté internationale alors que les résolutions onusiennes sont bafouées est grave. Le droit international ne peut être invoqué uniquement quand cela arrange le plus fort. Pour que la paix soit un jour possible, le respect des résolutions de l'ONU et le principe de la paix contre la terre s'imposent à toutes les parties belligérantes. Si le gouvernement d'Israël veut la paix, il devra s'y résoudre. La veut-il ? Les Etats arabes n'ont-ils pas pris en 2002 l'engagement solennel de reconnaître Israël et de faire la paix en échange de la fin de l'occupation des territoires palestiniens ? Plus proche de nous, c'est vers leurs gouvernements et vers l'Union européenne que les citoyens d'Europe doivent se tourner : pouvons-nous sans honte couper notre aide à l'Autorité palestinienne et mettre ainsi la population palestinienne en péril humanitaire et ne réagir que par des atermoiements alors que l'armée israélienne tue et détruit aveuglément ?