L'Etat islamique et Assad, les deux têtes du serpent

Voilà plus de trois ans que les Syriens appellent à l’aide pour que s’arrête le massacre déclenché par le régime brutal de Bachar al-Assad. Plus de trois ans que les opposants syriens et tous ceux qui luttent pour le droit des peuples s’égosillent à alerter sur le risque qu’il y a à laisser une population aux prises avec la barbarie sans réagir. Ils ont aussi alerté sur ces groupes d’un autre âge qui s’implantaient en Syrie et qui rapidement n’ont plus combattu le régime pour cibler l’opposition, faisant des milliers de morts dans ses rangs. Ils ont crié dans le désert.

Il aura fallu que la menace jihadiste commence à toucher la France et l’Occident en général et que des minorités, en particulier chrétiennes, en paient le prix pour qu’on ouvre les yeux sur la gravité de la situation.

Il aura fallu au président Obama la barbarie de la décapitation de deux journalistes américains pour qu’il se décide à adopter une stratégie pour combattre l’Etat Islamique de l’Irak et du Levant (EIIL) et en arrive à ces trois évidences qu’il énonce dans son discours du 11 septembre : 1. Il faut frapper en Syrie (où se trouve la tête du serpent Etat islamique) ; 2. On ne peut compter sur le régime syrien pour combattre les jihadistes ; 3. Il faut soutenir militairement l’opposition «modérée», la seule efficace face à l’EIIL.

Une position qu’avait déjà défendue le président François Hollande qui affirmait qu’il n’était «pas concevable d’avoir quelque action qui puisse être faite en lien avec le régime de Bachar al-Assad parce qu’il ne peut pas y avoir de choix entre une dictature de terreur et une terreur qui veut imposer sa dictature».

Car personne n’est dupe aujourd’hui de la manœuvre de Al-Assad qui excelle dans la stratégie de la «prophétie auto réalisatrice», celle d’une opposition «terroriste», en favorisant le phénomène jihadiste, manœuvre qui lui permet de justifier son régime. Aujourd’hui, nous arrivons à l’épilogue de ce scénario cynique. Après avoir manipulé l’Etat islamique, il espérait passer à la phase supérieure, celle de sa propre réhabilitation en devenant un «partenaire» des Occidentaux contre l’EIIL. Cette stratégie qu’il a bâtie sera mise en échec, espère-t-on, par Obama et Hollande qui doivent rester fermes face aux sirènes de certains commentateurs qui préconisent cette option.

Cette option n’est pas la bonne. Pas seulement pour des raisons morales, mais parce que le régime syrien n’est pas en état de lutter efficacement contre ledit Etat islamique. Sur le terrain, les points de friction entre l’armée et les jihadistes sont peu nombreux. A l’inverse, la quasi-totalité de la zone tenue par ces derniers jouxte celle contrôlée par les révolutionnaires syriens. Et pour cause, ledit Etat islamique et Al-Assad ont depuis le début des connivences qui présentent toutes les caractéristiques d’une alliance au terme de laquelle le premier s’étend prioritairement dans les territoires déjà aux mains des rebelles syriens, territoires que le second prend soin ensuite de ne pas bombarder. Par conséquent, à part le bombarder avec une partie des barils de TNT qu’elle réserve aux civils syriens, on voit mal ce que l’armée de Assad pourrait faire contre l’Etat islamique…

De plus, cette armée est affaiblie. Elle est incapable de reprendre Alep aux rebelles syriens. Et le 27 août, elle abandonnait à l’Etat islamique la base de Tabqa dans le gouvernorat de Raqqa, sacrifiant des centaines de soldats syriens à la sauvagerie des jihadistes. Le même scénario est en passe de se produire à l’aéroport de Deir-ez-Zor, dans l’est du pays. Affaibli, le régime l’est aussi sur le plan intérieur. Jusque dans ses soutiens les plus proches, y compris au sein de la population alaouite. Cette population que la famille Al-Assad a contrainte parfois par la violence à soutenir inconditionnellement le pouvoir, conteste à mots de moins en moins couverts la stratégie perdante du régime et le sacrifice de ses enfants.

A contrario, sur le terrain en Syrie, seuls les groupes de l’opposition au régime – Kurdes compris – tiennent tête à l’Etat islamique. Leur tâche est pourtant impossible car il leur faut se battre sur deux fronts alors qu’ils agissent avec un armement bien plus faible. Une coalition intégrant Assad serait considérée comme ennemie par l’ensemble des révolutionnaires syriens et des populations, démobilisant les opposants les plus actifs aux jihadistes. La seule possibilité d’agir contre l’Etat islamique en Syrie est de soutenir l’opposition à Bachar al-Assad sur le plan militaire. La «terreur barbare» de l’Etat islamique ne peut être combattue sans lutter de pair contre la «dictature barbare» du régime Assad.

Par ailleurs, quelle que soit la stratégie militaire contre l’Etat islamique, on ne peut faire l’économie d’une solution politique. Ce sont les politiques sectaires et brutales de dictateurs qui sont responsables de la crise dans la région. Leur perpétuation ne peut que renforcer les groupes les plus radicaux. Obama a mis comme condition à une intervention en Irak le changement de gouvernement. Le moment est donc opportun pour demander à Moscou et Téhéran de faire pression sur leur allié syrien pour qu’il permette une transition politique. La solution politique est la clé pour que la stratégie militaire ne soit pas inutile.

Nous, démocrates franco-syriens, espérons que le sursaut général provoqué par les crimes de l’Etat islamique conduira enfin à mettre en œuvre une stratégie cohérente pour traiter le conflit en Syrie qui a fait plus de 200 000 morts et sans doute autant de disparus. Nous demandons notamment au gouvernement français qui va s’engager dans la lutte contre l’Etat islamique, d’œuvrer auprès de ses partenaires pour que la solution politique soit d’ores et déjà formulée et pour obtenir l’engagement de Moscou et Téhéran de favoriser – sincèrement cette fois – une transition politique à la crise syrienne.

Par le Collectif des Démocrates Franco-Syriens (1)


(1) Bicher Haj Ibrahim, ingénieur, chercheur, Bassma Kodmani, politologue, Frédéric Farid Sarkis, universitaire, Marie-Claude Slick, journaliste, Manon-Nour Tannous, chercheuse en relations internationales.

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