L’Etat islamique fait aussi la guerre contre la culture

Le saccage du Musée de Mossoul, en Irak, témoigne d’un niveau de barbarie culturelle rarement atteint depuis le dynamitage des bouddhas de Bamiyan (Afghanistan). De nombreuses statues et bas-reliefs assyriens ont été détruits ou défigurés, au marteau-piqueur, à la masse, dans une scène d’hystérie collective, largement diffusée dans les médias et sur les réseaux sociaux.

La grande statue de taureau ailé, représentant le dieu assyrien Lamassu, gardien de la porte de Nergal de l’ancienne ville mésopotamienne de Nineveh, jadis la plus grande capitale du monde, a été défigurée. Cette disparition est irremplaçable pour toute l’humanité. De nombreuses autres statues ont été détruites.

Faire table rase du passé

Certaines sont des copies de plâtre dont les originaux avaient été placés en lieu sûr, d’autres sont authentiques. Elles témoignent de la beauté perdue des temples de la ville de Hatra, inscrite au Patrimoine mondial de l’Unesco, où l’architecture grecque et les drapés romains se sont mariés aux éléments de décor d’origine orientale, témoignant du dialogue des cultures dans cette région qui est le berceau de la civilisation humaine. C’est aussi ce dialogue que les extrémistes ont voulu effacer. Car le crime de Mossoul n’est pas seulement un « crime contre la culture ».

C’est un enjeu de sécurité qui dépasse de très loin le périmètre des archéologues et des spécialistes du patrimoine qui se lamentent sur la « perte irréparable de trésors de l’humanité ». Il s’agit d’un crime contre l’idée même de dialogue et de diversité, qui est la marque du fanatisme le plus radical. Et l’on voit comment les terroristes utilisent la mise en scène de leur forfait comme une arme de guerre, pour déstabiliser les populations, semer la terreur et encourager la violence.

Dans l’esprit des terroristes, la destruction de la culture est directement liée au meurtre physique des personnes et à la persécution des minorités. Elle s’inscrit dans une stratégie délibérée de faire table rase du passé pour instaurer le chaos. Ils interdisent aux filles d’aller à l’école, ils tuent des journalistes, ils saccagent les musées, embrigadent les professeurs. Ils utilisent les manuels scolaires et les outils modernes de la communication pour endoctriner les esprits.

Crimes de guerre

Les attaques contre le patrimoine sont ainsi un aspect d’un schéma d’ensemble visant la destruction de tout ce qui incarne la liberté de pensée et la diversité culturelle, comme nous l’avons vu par ailleurs en Afghanistan, au Mali, au Nigeria. Ce que nous montre le conflit en Irak et en Syrie, c’est l’explosion d’une nouvelle forme de conflits qui s’appuie sur plus d’une décennie d’attaques systématiques contre la culture.

Il n’est pas facile d’y apporter une réponse adaptée, car il n’y a pas de solution purement militaire à ce type de crise. Les attaques contre la culture sont des crimes de guerre, et devront être punies comme tels. Nous devons enrayer le trafic illicite des biens culturels, qui participe directement au financement du terrorisme, comme l’a établi le Conseil de sécurité en interdisant tout commerce de bien culturel en provenance de Syrie, à l’image de ce qui existe pour l’Irak.

L’Unesco va lancer une coalition mondiale contre le trafic illicite des biens culturels avec tous les partenaires-clés. Nous devons surtout prendre conscience de la centralité de la culture dans les réponses à apporter à l’extrémisme violent, et comprendre que la protection du patrimoine et la valorisation de la diversité culturelle font partie intégrante de toute stratégie de paix véritablement adaptée à ce cancer.

Irina Bokova, Directrice générale de l’Unesco

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