Lettre à mes amis juifs

Au moment où ma religion est mise en cause de manière parti­culièrement injuste, je souhaite m’adresser à mes amis juifs.

En écrivant ces quelques lignes, je vois défiler les visages de beaucoup de personnes qui me sont proches, des intimes. Je suis musulman, ils sont juifs, mais la question ne s’est jamais posée entre nous. Cette amitié, c’est «parce que c’était lui, parce que c’était moi», comme l’a si bien écrit Montaigne. Je m’adresse à eux aujour­d’hui, en raison du lourd climat qui pèse sur notre pays, alimenté par des pyromanes, extrémistes en perdition et politiciens à courte vue, se rejoignant ainsi pour présenter l’islam comme une menace.

L’augmentation des actes antisémites est un fait avéré. Cet accroissement prend d’autant plus d’importance qu’il s’inscrit dans une montée générale de l’intolérance, s’exprimant désormais par des revendications xénophobes.

Oui, cet antisémitisme existe, et il est la motivation de crimes. Mais je veux dire avec force que l’islam n’en est ni la cause, ni l’origine. L’islam n’a rien à voir avec l’antisémitisme, et les musulmans ont toujours eu des sentiments généreux vis-à-vis des juifs, dont ils respectent, et admirent souvent, leur foi.

La seule clé d’analyse, c’est l’intolérance xénophobe qui s’affiche aussi bien contre les juifs que contre les musulmans. Notre devoir est de combattre ensemble et en bonne intelligence ce mal qui mine la société.

Les ressorts de l’antisémitisme en France sont puissants, et on s’interdirait de comprendre les problèmes d’aujourd’hui si on ­relativisait les enseignements de l’histoire. L’antisémitisme faisait ses ravages en France bien avant que l’islam ne soit la deuxième religion du pays. C’est au nom d’une notion dévoyée de la «France éternelle» qu’ont été signés à Vichy les actes conduisant à l’extermination de 80 000 juifs qui vivaient en France. Pendant ce temps, la même France refusait le statut de citoyen aux musulmans d’Algérie.

Là, vient la question du ­moment: y aurait-il un nouvel ­­­­an­ti­sémitisme qui engagerait ­­l’en­semble de la communauté mu­­­sul­­­mane, parce qu’elle ne ­saurait pas contrôler une frange ­d’extrémistes?

Je le conteste fermement.

Tout part de la qualification. Celui qui commet un crime est un criminel, et le repérage est simple: c’est la loi. Quand on lance une grenade dans un magasin juif, comme à Sarcelles, ou qu’on tire sur des jeunes au moment de la rupture du jeûne, comme à Aigues-Morte, c’est la loi qui est violée, et l’individu doit être jugé pour ce fait pénal. Ce qui tient la société c’est la loi, c’est l’objectivisme de la loi! Par quelle perversion de la pensée une personne peut-elle vouloir tuer ses semblables? C’est aux juges, éclairés par de longs travaux d’enquête, de le dire, dans une analyse individuelle. Toute généralisation n’est qu’une approximation.

Ensuite, l’extrémisme islamiste… Le monde musulman le connaît bien. Il en a toujours été la première victime et le premier à le combattre. L’Algérie, frappée de plein fouet, a fait face, même si elle s’était retrouvée bien seule. Ne vous trompez pas: c’est une vigilance de tous les musulmans, car ces extrémistes sont d’abord nos ennemis. La communauté mu­sulmane de France, sereine et responsable, en a plus qu’assez d’avoir à supporter tous les jours les contrecoups du rejet que légitiment ces fraudeurs de la conscience.

J’entends aussi souvent parler du repli identitaire… Qu’en est-il? La communauté musulmane n’est pas une et recroquevillée sur elle-même! Son premier défi est de contenir ses divisions et de s’ouvrir à la société. En France, les musulmans sont partie prenante de toutes les aventures sociales. De l’administration aux entreprises, de la médecine au barreau, de la presse à la culture, ils sont à l’aise dans la société française et ne réclament aucune adaptation des lois. Il reste effectivement de graves difficultés économiques et sociales, endémiques, sur des quartiers. Alors traitons-les, mais, de grâce, n’accusons pas ces populations laissées à l’abandon de volonté ségrégationniste.

Vient la question récurrente de l’importation du conflit israélo-palestinien, présentée comme l’argument ultime. La Palestine, depuis des siècles, est la terre où cohabitent chrétiens, juifs et musulmans. Depuis 1922 et 1948, sont posés les termes d’un conflit armé qui traite de la souveraineté des territoires. Alors, laissons ­s’exprimer les idées politiques, car tout débat est nécessaire, et ne craignons pas les échanges d’idées. Mais ne légitimons pas, par facilité, le concept de l’importation d’un conflit religieux.

Enfin, laissez-moi vous parler, comme musulman.

Le prophète Mohamed nourrissait une admiration sincère pour les chrétiens et les juifs, peuples monothéistes. Un jour, en rentrant dans un village et ne trouvant pas de mosquée, il a demandé la permission d’aller prier dans une synagogue. Aujour­d’hui, un musulman peut prier dans un lieu de culte juif; et un juif est le bienvenu dans une mosquée.

Le Coran, religion du livre, reconnaît l’Ancien Testament, et Abraham tient un rôle très important dans la religion musulmane, tout comme Isaac, Joseph, Moïse, David et Salomon. «Nous croyons en ce qu’on a fait descendre vers nous et descendre vers vous, tandis que notre Dieu et votre Dieu est le même, et c’est à Lui que nous nous soumettons» (Coran, 29: 46).

L’islam, en tant que troisième religion révélée, considère la Bible et l’Ancien Testament comme la maison de ses ancêtres. L’étonnante proximité intellectuelle de Maïmonide et Averroès, dans la Cordoue du XIIe siècle, montre comment les juifs, chrétiens et musulmans ont cohabité en paix et se sont enrichis mutuellement.

Mais nous parlons de la France du XXIe siècle, me direz-vous, pas de l’Andalousie du Moyen Age. Sans doute, mais cet héritage perdure et il est bien plus fort que les contractions de notre société déboussolée.

Le défi que doit relever la communauté nationale tout entière est de s’inspirer des moments éclairés de l’histoire, cherchant ce qui unit pour mieux combattre l’intolérance et l’extrémisme.

Chems-eddine Hafiz, avocat au Barreau de Paris et conseil de la Grande Mosquée de Paris.

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