Lettre aux catholiques qui n’iront pas à la messe de Noël

En d’autres années, vous y seriez volontiers allé, à cette messe de Noël, tant sa puissance d’attraction est forte. Avec ses chants surannés et familiers, ce petit Jésus que l’on va mettre dans la crèche, les enfants qui portent leur joie sur le visage et cette excitation teintée de solennité qui se propage d’un banc à l’autre… Et vous auriez aimé entrer, toutes orgues sonnantes, dans le premier temps de cette fête si délicate, si attentive à unir les générations, dans ce crescendo admirable de rituels qui convergent vers cette nuit très sainte, jusqu’à cet acmé où, entre dinde et sapin, vous vous réconforterez l’un par l’autre des petites et des grandes misères subies dans l’année écoulée. Vous y tenez, à cette messe, même si c’est peut-être la seule occasion de l’année où vous poussez la porte d’une église.

Sans lire dans la boule de cristal, je devine pourtant que cette année sera différente. Vous n’irez pas à la messe. Quelles raisons puis-je objecter ? Le risque de contamination du virus, d’abord, qui vous fait préférer vous tenir à distance des foules. Surtout si la jauge des convives au réveillon est à six. C’est si peu que vous préféreriez peut-être renoncer à la messe pour inviter deux ou trois personnes de plus…

Une insidieuse distance

S’il n’y avait que ce maudit virus, vous patienteriez jusqu’à l’an prochain. Mais entre vous et l’Eglise s’est installée une insidieuse distance. Bien sûr, l’Eglise catholique vous rattache à votre enfance, à vos «valeurs» et cela vous arrachera toujours quelque nostalgie. Mais vous la fréquentez peu et elle vous le rend bien. C’est bien connu, si le «plus» entraîne le «plus», le «moins» accélère le «moins». Vous n’avez pas de prêtres parmi vos proches, ceux que vous apercevez de loin n’ont pas de temps pour la causette. Dans ce petit monde de pratiquants, vous êtes de moins en moins chez vous, car de moins en moins de visages en humanisent l’identité. Quant à aborder avec quelqu’un du sérail un débat de fond sur votre bien-être ou votre mal-être, sur le sens de votre vie, sur le besoin de croire, sur les vérités enseignées, vous ne l’imaginez même pas.

En outre, l’institution a beaucoup trébuché ces dernières années. Peut-on encore lui faire confiance après la révélation des abus sexuels sur mineurs ? Plus récemment, en pleine pandémie, l’épiscopat a-t-il capté votre attention par un geste fort, évangélique ? Oh, vous ne voulez pas donner de leçons, mais si c’est devenu ça, l’Eglise catholique, alors vos derniers scrupules tombent. C’est elle qui se met dans les marges et, par là, vous affranchit de votre absence. Vous pouvez presque l’oublier en toute quiétude. 53,8% (36 millions) de Français se disent catholiques, dont 1,8% (1,2 million) sont pratiquants. Cela signifie que 34,8 millions sont catholiques et non-pratiquants (La Croix, janvier 2017). Certes, à Noël, la fréquentation grimpe, mais elle est loin de combler les départs.

Alors, pour vous qui êtes catholique, même distancé, que garderez-vous de Noël ? Je gage que vous ne jetterez pas aux orties cette histoire d’une jeune mère agenouillée devant son enfant divin couché dans la paille, entre le bœuf et l’âne… Oh, osons avouer que cette naissance d’un Dieu qui, résolument, va à contre-pied de ce que l’on attend de lui, est un haut lieu de notre humanité. Et que la contempler est le plus beau geste possible d’acquiescement à notre condition. C’est aussi l’objet de la plus belle méditation qui soit sur la responsabilité de chacun. Parce que, devant nos frères et sœurs, il n’y a que deux attitudes : sélectionner ou accueillir. Noël, c’est choisir l’accueil. Les mages, sages plutôt que rois, ploient le genou devant la faiblesse et la dépendance d’un enfant. Ils viennent adorer le Sauveur, mais c’est nous qu’ils invitent à devenir sauveurs du plus faible des êtres humains, qui mourra si personne ne le nourrit, ne le change et ne le caresse ! Là est la seule manière de faire l’unité de l’humanité, sans tyrannie des premiers de la classe et sans exclusion des plus faibles.

De la désagrégation de l’Eglise catholique

En somme, vous n’irez pas à la messe mais vous garderez l’essentiel. Et ce serait pareil à Pâques, à la Toussaint, à l’Ascension, à la Pentecôte, car la même richesse émerge de chaque fête chrétienne. Le christianisme est une anthropologie, il raconte l’art d’accomplir sa vocation d’être humain, façonné par un Dieu autre et proche à la fois.

Certes, c’est une tragédie de voir la désagrégation d’une institution aussi prestigieuse que l’Eglise catholique. Mais l’institution n’est pas toute l’Eglise. L’Eglise, vous la portez en vous, dans votre sensibilité altruiste, dans votre culture du pardon et du dépassement et dans votre joie de partager. Ce christianisme-là, vous voulez le garder, car il est votre patrimoine. Il nous parle assez, à vous comme à moi, pour que vienne, aujourd’hui, demain, le plus tôt possible, le temps de nous déclarer ses héritiers, afin de le pétrir de nos mains et d’en faire un pain savoureux pour le quotidien des hommes et des femmes d’aujourd’hui.

En n’allant pas à la messe de Noël cette année, n’êtes-vous pas déjà prêt à cette refondation ? Vous êtes 34,8 millions, presque la moitié des Français, à pouvoir vous poser cette question. Et sa réponse est entre vos mains.

Anne Soupa est l’auteur de Pour l’amour de Dieu, Albin Michel, à paraître le 6 janvier 2021.

Anne Soupa, théologienne, écrivaine et l’auteur de Pour l’amour de Dieu.

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