Lettre d’Ukraine en Colombie

Lettre d’Ukraine en Colombie

Chère Luba,

C’est à Bogotá que j’ai appris la bonne nouvelle. Vous ne passerez plus l’hiver dans une maison en ruine. La vôtre sera finalement reconstruite. Depuis mon départ en Suisse il y a une année, je n’ai plus eu l’occasion de retourner dans votre village détruit en 2014 par les combats dans le Donbass. Toutefois, les photos que je viens de recevoir me soulagent. On vous aperçoit devant votre demeure en reconstruction. Votre sourire furtif efface les frustrations que nous avions connues pour vous aider, mais il reste encore tant de travail à accomplir ailleurs!

En Ukraine, les experts parlent d’un conflit gelé, expression bien malheureuse lorsqu’on connaît les rigueurs climatiques que vous avez dû endurer et que nombre de vos compatriotes bravent encore. Des affrontements qui secouent votre pays, plus personne n’en parle. Pourtant, la situation sur le terrain ne s’améliore guère. Il faut toujours patienter de longues heures pour franchir les points de contrôle séparant les belligérants. D’interminables files de voitures s’étirent sur des kilomètres. Il est impérativement déconseillé de soulager certains besoins bien naturels sur les bas-côtés. Ils sont pavés de mines. Des malheureux ont perdu leur vie pour une telle imprudence! Le nombre de déplacés internes ne cesse d’augmenter, des victimes civiles continuent de tomber sous des obus ne visant aucun objectif militaire. Certes, l’intensité des affrontements a baissé, mais les violations du cessez-le-feu sont quotidiennes. Les armes qui s’amassent de part et d’autre ne présagent rien de très constructif!

Une année particulièrement funeste

Si le monde vous a oublié, c’est aussi parce que 2016 a été une année particulièrement funeste. En Syrie, au Yémen, en Irak, au Sud-Soudan, on tue, on viole, on déplace des populations dans l’impunité la plus totale. De telles horreurs ne sont pas uniquement le fait des États, mais aussi des forces rebelles qu’ils soutiennent. Ces mêmes États se sont pourtant rendus en mai à Istanbul, au Somment mondial humanitaire, pour clamer à l’unisson leur respect aux principes fondateurs édictés par Henri Dunant. Comme prévu, ce raout ne fut qu’une coûteuse diversion à laquelle les humanitaires eux-mêmes (à l’exception de MSF) se sont prêtés par crainte de ne pas apparaître sur la photo finale.

Ne perdons pas totalement espoir

Chère Luba, même si cela peut paraître utopique, ne perdons pas totalement espoir pour autant! Aujourd’hui, je vous écris d’un pays, la Colombie, embourbé dans un sanglant conflit pendant un demi-siècle. Il aura fallu la mort de 260 000 Colombiens, le déplacement de 7 millions de personnes avant que les voix courageuses de la raison ne se fassent entendre. La paix a été signée. Elle doit maintenant se construire au quotidien, il faut lui donner du temps de prendre racine. Le chemin vers une réconciliation durable demeure fragile, mais il existe une volonté de tourner la page. C’est déjà un gros progrès.

Bien sûr, il serait difficile de comparer le conflit en Ukraine avec celui en Colombie. Si les causes sont différentes, les conséquences restent identiques, parmi lesquelles les déplacements massifs de populations civiles. J’espère toutefois sincèrement que les Ukrainiens n’auront pas besoin d’attendre cinquante ans avant de se réconcilier.

En attendant, permettez-moi, chère Luba, de vous souhaiter un joyeux Noël et une nouvelle année plus radieuse. «Paix sur la terre aux Hommes de bonne volonté», écrivait Saint Luc. J’espère simplement qu’il en reste encore quelques-uns sur cette planète.

Jean-Noël Wetterwald, ancien délégué HCR en Ukraine, actuellement en mission pour le HCR en Colombie. En 2015, alors délégué du HCR en fin de mission en Ukraine, il avait tout tenté pour faire réparer la maison d’une vieille dame bombardée lors des combats entre séparatistes et forces ukrainiennes. En vain: cette personne âgée, victime de blocages tant locaux qu’onusiens, avait été obligée de passer l’hiver sans toit.

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