Lettre ouverte à David Cameron

L’issue fatale était dans ton esprit difficilement imaginable. Certes, la campagne ravagerait le pays, mais au final la population aurait peur de l’inconnu et du changement. Tu jouais à faire peur, avant de te poser en rassembleur des nations.

Un référendum, c’est d’abord fait pour ancrer l’ordre établi dans les esprits et se rassurer sur le caractère généralement conservateur des populations.

La séquence «référendum» était donc bien engagée, avec une campagne molle, ou l’on dénigrait le camp du Brexit en défendant très mollement le camp du remain et le modèle européen, afin de récupérer le parti conservateur et pousser les ambitions de l'Ukip à la marge.

Aveuglé par ton ambition personnelle, déconnecté des réalités de tes concitoyens, tu avais omis quelques détails.

On le sait, les Britanniques, attachés à leur souveraineté nationale, entretiennent historiquement un rapport complexe à la construction européenne mais celui-ci est loin de constituer la seule explication.

David, tu n’as pas vu venir le problème dans cette belle mécanique, le référendum n’était pas seulement pour ou contre l’Europe, la campagne l’a bien montré. Tu as voulu donner la parole au peuple et il l’a prise. C’est d’abord la revanche des oubliés, des perdants de la politique des Tories depuis ton arrivée au pouvoir et des exclus du miracle Labour des années Blair. Qu’as-tu fait pour ces gens-là, qui ont vu leurs revenus baisser, leurs aides disparaître et leur emploi supprimé, ou pire, «volé» par les travailleurs détachés ? Tu les avais oubliés, tout simplement.

Pour les partisans du Brexit, l’Europe n’est pas une garantie de sécurité et de stabilité, elle est l’assurance de leur dégringolade sociale et l’origine de beaucoup de leurs maux. Mais à leurs peurs, tu as répondu par moins de sécurité, plus de précarité, laissant le camp du leave et ses comédiens et comiques jongler entre fausses promesses et mensonges, sans autre proposition qu’une rêverie patriotique nostalgique de l’Empire saupoudrée d’une bonne dose de xénophobie. Et à leur grande surprise, ça a marché.

Voir ton naufrage personnel sur Snapchat en 24h, à coup d’émoji de chats apeurés et de «Au revoir» à la Giscard 2.0 avait quelque chose de pathétique et d’extrêmement comique. Quelle drôle d’idée que vous avez, vous les politiques, de vous afficher sur tous les réseaux possibles, de toujours chercher les voix, mêmes les plus improbables, par de la communication vide de contenu, plutôt que de vous investir dans des politiques courageuses qui assurent le bien être du plus grand nombre. C’est sans doute plus facile de faire des selfies que de proposer des politiques fiscales de redistribution.

Et puis, c’est aussi très facile de faire croire au peuple qu’il a encore le pouvoir, montrer une démocratie en bonne santé, en proposant des grands référendums, plutôt qu’assurer une éthique du pouvoir. Certes, la France n’a aucune leçon à te donner là-dessus. Tu auras compris que je ne suis pas ton plus grand fan, mais je te reconnais le mérite d’assumer ton échec en démissionnant. Je ne te l’apprends pas, chez nous, certains hommes politiques affichent une carrière à faire pâlir les parrains de la pègre tout en bénéficiant d’un mandat automatiquement renouvelé : abus de biens sociaux, évasion fiscale, trucage de financement de campagne.

Alors oui, c’est vrai, c’est injuste David, tu n’es pas seul responsable. Les politiques d’austérité imposées depuis Bruxelles, les politiques catastrophiques des banques centrales et la doxa libérale de la compétitivité du grand marché sont toutes aussi responsables de ces peurs, de ce refus d’Europe et in fine, de ta défaite.

Jean-Claude Juncker, Mario Drahi, et tous tes collègues de Bruxelles vont aussi te manquer et tu dois trouver injuste qu’ils restent bien au chaud dans leurs bureaux. Mais peut-être ne fallait-il pas faire ce référendum. L’Europe mérite mieux que ça, non ? C’est complexe la construction européenne, les lois, les accords, tout ce travail de coopération et d’entente, ça ne se résume pas vraiment à un coup de poker, un jeu de «cap ou pas cap».

Les Anglais t’ont montré qu’ils étaient capables de voter Brexit. Je reconnais bien là tout ce que j’aime chez eux, l’humour, la grande gueule et ce formidable côté insulaire qui a tendance à leur faire oublier le reste du monde et les bonnes manières. Et le côté punk.

C’est une bonne chose finalement, ce référendum, pour une fois, un vote clarifie les choses. On redécouvre qu’un pays c’est un ensemble de gens et d’opinions très divers, pour le faire tenir ensemble il faut de la volonté, un projet commun et un personnel politique digne et à la hauteur. Avec le Brexit, tout le monde joue cartes sur table : ton équipe est disqualifiée, les régions reprennent vie et l’Europe se trouve montrée du doigt pour ce qu’elle est : une construction bancale et fragile. Et la bonne nouvelle, c’est que la démocratie fonctionne.

Ce référendum, c’est un peu une boîte de pandore, pourquoi ne pas en faire un autre sur la monarchie ? Et puis un autre sur le Commonwealth ? Les Indiens se sont battus longtemps pour en sortir, et c’est vraiment injuste de voir qu’en un vote la Grande-Bretagne peut quitter l’Europe. Dans un premier temps, l’Ecosse semble partante pour quitter le Royaume-Uni par référendum.

Merci pour tout, David, je te souhaite le meilleur pour la suite de ta carrière.

Hâte d’entendre ta première conférence d’ex-Premier ministre Britannique à Doha d’ici la fin de l’année et de découvrir tes mémoires en librairie Of pigs, Brexit and life in the shadows d’ici 2022 !

Bien à toi,

Alexis Poulin, Directeur d'EurActiv France.

Deja una respuesta

Tu dirección de correo electrónico no será publicada. Los campos obligatorios están marcados con *