L'euro : notre monnaie, notre problème

Les marchés, et c'est leur rôle, ont sonné la fin de la "récré". Les grands gourous, de Joseph Stiglitz à Paul Volcker en passant par Paul Krugman, suggèrent que notre monnaie, face à sa première crise, doit passer le test de survie. L'euro est-il menacé ? Surement pas. Imagine-t-on l'effroyable pagaille qu'engendrerait un retour à une monnaie nationale dans un ou quelques pays : manque de pièces et billets, réécriture des données bancaires et comptables, dévaluation, explosion de l'endettement, sortie des capitaux, envolée des taux d'intérêt, solitude ?

Après avoir vu l'euro trop fort on observe sa désescalade avec effroi. La vérité est qu'il redescend vers une valeur normale. Les grandes monnaies fluctuent autour de leur parité de pouvoir d'achat ; plus on s'en éloigne et plus la probabilité d'y revenir augmente. La valeur à parité de pouvoir d'achat de l'euro par rapport au dollar est entre 1,15 dollar et 1,2 dollar, soit une marge de fluctuation supportable pour les opérateurs commerciaux (plus ou moins 20 %) comprise entre 0,90 dollar et 14 dollars. On y revient et chacun devrait donc s'en réjouir. Les entreprises peuvent se protéger du risque de change entre ces valeurs ; en dehors, elles souffrent, comme Airbus ou Thalès ces dernières années, dont les marchés sont négociés à long terme et en dollar.

L'euro, après être né à 1,17 dollar, soit à sa parité, est sorti de cette marge entre 1999 et 2001, baissant jusqu'à 0,82 dollar, quand sa crédibilité restait mise en doute. Puis entre 2003 et 2007, il est devenu trop fort, flirtant avec les 1,6 dollar. Devenu crédible, dans une zone en équilibre, d'emblée seconde monnaie mondiale, et de loin, principal succès récent des Européens, ayant marginalisé la livre sterling, le yen et le franc suisse… Il a alors attiré les capitaux à la recherche de diversification. Un attrait renforcé par la courte période où les taux d'intérêt européens sont restés supérieurs à ceux des Etats-Unis (2007-08) qui a fait s'apprécier l'euro hors de toute raison. Il faut donc se réjouir de sa baisse, souhaitable pour notre industrie, et accepter que notre monnaie flotte. Cette baisse est dans l'ordre des choses en période de faible conjoncture. Elle fournit un relai de croissance par les exportations, surtout à notre industrie et à notre tourisme, et sauve les pays du Sud en leur redonnant un peu de compétitivité. Toutefois les mouvements de capitaux nous disent que l'euro n'est pas resté, selon le souhait de ses concepteurs et celui de la Banque centrale européenne, une monnaie régionale. Il s'internationalise depuis quelques années. Il faudra donc le gérer comme une monnaie internationale, c'est-à-dire agir sur son taux de change avec le dollar et le yuan. Les traités fondateurs attribuent cette responsabilité à l'Eurogroupe qui la dédaigne, ou la craint ? Là aussi, la fin de la "récré" sonnera un jour et l'Europe devra faire face. L'euro est aussi devenu, volens nolens, l'étalon de mesure du dollar, faute de concurrent pour cette fonction. Or le dollar joue au yo-yo selon la conjoncture, il faudra s'y faire.

LA ZONE EURO SOUFFRE DE QUATRE FAIBLESSES AUXQUELLES TOUTE STRUCTURE PLUS FÉDÉRALE DEVRA RÉFLÉCHIR

La rédaction déplorable du pacte de stabilité et de croissance de 1997 qui limite à 3 % du PIB le déficit public. En période de croissance, c'est trop laxiste ; en période de récession, trop exigeant. Le budget public devrait s'équilibrer sur l'ensemble d'un cycle : excédent engrangé grâce à la croissance ; déficit plus conséquent pour relancer en période de récession comme l'illustre la crise actuelle. Il faut surtout s'inquiéter d'un déficit structurel durable, ce dont souffre la France. Et, enfin, de l'incapacité à couvrir les dépenses publiques courantes par des recettes courantes. Tous nos étudiants savent cela, qu'hommes politiques et grands médias font semblant d'ignorer. La France, au mépris des appels de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), à laissé jouer les stabilisateurs automatiques, a appelé ses excédents conjoncturels "Cagnotte". Imbécillité donnant l'occasion à la droite et à la gauche de s'affronter sur son emploi au lieu de les engranger comme marge de manœuvre pour la prochaine récession ! Les propositions actuelles restent simplistes et donc inconséquentes.

Ensuite la zone euro ne peut se reposer sans fin sur ses membres vertueux. Les pays dégageant un excédent de leurs échanges extérieurs (Allemagne, Pays-Bas, Finlande et Belgique) ont rendu les déficits des autres (France, Espagne, Italie…) indolores. La balance des paiements de la zone est ainsi équilibrée, évitant les pressions sur l'euro. Mais des modèles de croissance aussi différents, fondés chez les premiers sur la modération des salaires et l'exportation, et chez les seconds sur la consommation favorisée par des hausses de salaries agressives et/ou le crédit, peuvent-ils durablement cohabiter ? Certes, les pays en rattrapage comme l'Espagne, le Portugal ou l'Irlande ont besoin de temps et de souplesse. Ils ont bénéficié de la baisse des taux d'intérêt (de plus de 10 % à quelques pourcents) et des fonds structurels. Ils ont alors confondu la classe supérieure avec la récréation. Jusqu'à quand les Allemands voudront-ils bien travailler pour eux ? Personne ne se le demandait et ils ont raison de le rappeler.

La politique de taux d'intérêt unique de la BCE exige des ajustements nationaux. Pendant des années l'Allemagne, ayant moins d'inflation, a subi des taux d'intérêt réels positifs (taux de la BCE moins l'inflation), d'où moins de croissance et d'emploi. L'Espagne, ayant plus d'inflation, bénéficiait, elle, de taux réels négatifs, favorisant un excès de crédit à la consommation et à l'habitat qui a nourri la bulle immobilière et des créations d'emploi artificielles. Il faut dans ces cas une politique budgétaire plus expansive outre-Rhin et plus restrictive outre-Pyrénées.

L'objectif d'inflation de la zone euro est irréaliste pour une zone aussi large et disparate. Une moyenne de 2 % signifie forcément de la déflation dans certains pays ou secteurs comme l'industrie. Plus de souplesse serait la bienvenue.

La mode reste à relire et commenter Keynes et ses recettes de relance par la dépense publique. Irving Fisher et Paul Kindleberger, les analystes des bulles et des déflations qu'elles génèrent, sont inconnus du grand public. L'euro est le grand succès de l'Europe. La sagesse des réactions de la BCE face à la crise a fait taire toutes les critiques injustifiées à son égard. Mais la crise des finances publiques met la zone devant ses responsabilités face aux quatre difficultés évoquées. Les endosser exigera un peu d'analyse et de pédagogie et du courage politique de la part de l'Eurogroupe. L'euro est notre monnaie, c'est aussi notre problème !

Béatrice Majnoni d'Intignano, économiste, professeure à l'université Paris-XII.