L’Europe de la recherche sans la Suisse et le Royaume-Uni sera plus pauvre

Le 9 février 2014, les Suisses ont approuvé par « votation » l’initiative populaire « contre l’immigration de masse » du parti conservateur UDC, visant à limiter fortement l’immigration. Quelques jours après, l’Union européenne (UE) a amputé la participation de la Suisse au programme de recherche et d’innovation Horizon 2020.

Si rien ne change, les chercheurs suisses en seront totalement exclus en 2017. Pour le Royaume-Uni et le Brexit, le scénario sera le même. C’est une menace pour le terreau de la connaissance et de l’innovation européennes dont la Suisse et le Royaume-Uni sont des moteurs. Les exclure serait une erreur historique.

Clé de voûte du développement

Stefan Zweig plaidait pour que l’Europe ne se définisse pas uniquement politiquement mais aussi par sa géographie, sa jeunesse et sa diversité culturelle. Aujourd’hui que l’euroscepticisme est de mise, l’Europe doit se transcender pour éviter des décisions qui seraient des insultes au futur.

Il faut parvenir à déconnecter l’Europe géographique des difficultés de l’Europe politique, en particulier en matière de recherche et d’éducation supérieure, secteur dans lequel il existe une identité européenne génératrice d’enthousiasme, de savoir et d’innovation dont les étudiants et les chercheurs sont l’image.

La connaissance est la clé de voûte du développement social et économique. Les universités de recherche prestigieuses attirent les talents et nourrissent l’innovation. Les Etats-Unis en sont le meilleur exemple. Leurs universités sont en tête de tous les classements académiques, signant ainsi leur domination. La Chine, Singapour, la Corée du Sud ne sont pas en reste et investissent massivement en recherche et en éducation au sein d’un réel « mercato des talents ». La question est de savoir si l’Europe restera maîtresse de sa destinée dans ce jeu d’échecs mondial.

Souvenons-nous du processus de Bologne, amorcé en 1998. Ce processus d’harmonisation des études universitaires a conduit à la création en 2010 de l’Espace européen de l’enseignement supérieur, incluant les 28 membres de l’UE mais aussi 47 Etats associés. Il fut le fruit d’une réflexion fondée sur la réalité d’une Europe géographique. La Commission européenne a saisi la balle au bond, en créant le programme de mobilité Erasmus pour que les étudiants deviennent de vrais connaisseurs de la réalité européenne et des acteurs de son avenir.

Horizon 2020

Que dire à ces jeunes Européens qui entrent tous les ans dans les universités suisses et anglaises parce qu’ils y voient des institutions dynamiques, européennes, globalisées, innovantes et de cultures variées ? Que c’est fini ? Beaucoup de ceux qui sont aujourd’hui sur les bancs de l’université seront les artisans de la construction de la future Europe. Ne leur montrons pas sa face noire. Donnons-leur le droit, au-delà des crises politiques, de circuler librement dans cet espace européen qui est le leur.

Le programme Horizon 2020 (H2020) est le bras armé de l’ensemble des actions de l’UE en faveur de la recherche et de l’innovation. Les Etats membres, mais aussi des Etats associés (Turquie, Israël, Tunisie…), y ont accès. C’est l’Europe politique qui a pris la main et qui a compris la richesse d’intégrer à ses programmes des pays de l’Europe géographique et de sa zone d’influence.

Ce programme inclut les bourses du Conseil européen de la recherche (ERC), des financements généreux pour des chercheurs méritants et originaux. Elles ont augmenté la qualité des recrutements dans les universités, évité le départ et encouragé le retour des talents européens. Elles sont devenues le baromètre de la qualité de la recherche européenne.

Le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne en sont les premiers bénéficiaires. Ramenés à leur taille, Israël et la Suisse dépassent tous les autres. Le haut de la liste est dominé par des universités du Royaume-Uni (Cambridge, Oxford, Imperial College…), de Suisse (ETHZ, EPFL…) et d’Israël, par ailleurs aussi leaders des classements universitaires internationaux.

Moins compétitive et moins attractive

L’Europe de la connaissance et de l’innovation sans la Suisse et le Royaume-Uni sera plus pauvre, moins compétitive et moins attractive. Que sera-t-elle sans Oxford, Cambridge, l’EPFL et l’ETHZ ? De nombreux chercheurs européens, souvent partis pour les Etats-Unis, sont aujourd’hui recrutés dans ces établissements. Ils y créent des réseaux avec les universités de leurs pays d’origine, contribuant ainsi au dynamisme de la recherche européenne. Voulons-nous casser tout cela ? Si oui, l’Europe politique continuera de briser le rêve de l’unification de l’Europe géographique. Aura-t-elle le courage de considérer l’Angleterre et la Suisse comme des pays associés de plein droit à H2020, au même titre que d’autres ?

Il est fort probable que les Etats membres de l’Europe n’auront pas la même attitude quand il s’agira de discuter de la participation de la Suisse et du Royaume-Uni aux grandes infrastructures scientifiques de la recherche européenne : synchrotron (ESRF), Agence spatiale (ESA), nucléaire (ITER)… La Suisse et le Royaume-Uni y contribuent et l’Europe ne leur demandera sans doute pas de ne plus y participer. Ces infrastructures fonctionnent très bien et dans la durée parce qu’elles ne sont pas sous la seule responsabilité de l’Europe politique. Elles ont une autonomie et devraient servir de modèle.

Saisissons donc l’occasion de cette crise pour penser différemment le programme H2020, et l’ERC en particulier. Faisons de l’ERC une institution indépendante de la Commission européenne, au même titre que les institutions scientifiques évoquées plus haut. De telles décisions permettront de continuer à construire une recherche européenne ambitieuse. La clé du succès pour l’Europe, c’est la présence des meilleurs sur son territoire et dans sa zone d’influence. Qui peut aujourd’hui penser que la Suisse et le Royaume-Uni n’en feront plus partie ?

Par Philippe Gillet, vice-président de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne.

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