L’Europe doit l’admettre, le Trumpisme survivra à Trump

Un an après l’élection du président Donald Trump, il serait trop facile de résumer le « trumpisme » à sa personnalité instable ou au décryptage quotidien de ses tweets. Le trumpisme n’est pas non plus une doctrine comme le suggèrent un certain nombre d’analyses, qui se traduirait par une imprévisibilité calculée, visant à déstabiliser ses adversaires aussi bien sur la scène politique qu’internationale.

L’hyper focalisation des médias et des commentaires politiques sur la personne de Trump confond en réalité la cause et l’effet. Le trumpisme doit être appréhendé comme le symptôme d’une transformation beaucoup plus profonde et durable de la société et de l’action extérieure américaines.

Même si l’enquête sur l’ingérence russe dans la campagne présidentielle mène à une procédure de destitution, la démocratie et la cohésion sociale américaines continueront à être ébranlées par les idées trumpistes tant que la classe politique américaine ne regardera pas la réalité des problèmes en face : la croissance des inégalités et de l’insécurité économiques ; le sentiment d’exclusion sociale et la colère que cela engendre ; le rejet de l’establishment et des institutions politiques ; l’anxiété culturelle, exacerbée par les évolutions démographiques du pays et le sentiment de déclin américain. Tous ces facteurs ont su être captés par le candidat Trump et l’ont porté au pouvoir il y a un an.

Implications irréversibles

Le Trumpisme survivra à Trump, et aura des implications irréversibles pour les relations transatlantiques et internationales. Les alliés européens doivent de toute urgence repenser leurs relations avec les Etats-Unis, tout en maintenant le lien. Vue de Washington, la France est perçue comme particulièrement habile dans sa manière de gérer sa relation avec la Maison blanche, notamment parce qu’elle est le seul pays en Europe qui prend acte de ces mutations américaines, en particulier le désengagement inévitable des Etats-Unis des affaires européennes.

Lorsque les citoyens américains sont interrogés sur l’état de leur pays, la réponse est très souvent celle-ci : « notre pays est malade ». Le gouvernement et les institutions politiques sont identifiés comme le plus grand problème aux Etats-Unis, devant la question du racisme, et bien loin devant l’économie et l’emploi. La plus grande frustration vis-à-vis du gouvernement avait été exprimée sous Barack Obama, en octobre 2013 au moment du « shutdown » [l’arrêt temporaire de plusieurs administrations et services fédéraux pour cause de désaccord au Congrès à propos du budget].

Les Américains, qui ont vu leurs conditions de vie se dégrader (stagnation des salaires ; un quart des Américains perçoivent moins de 10 dollars par heure ; 12,7 % de la population vit dans la pauvreté), estiment que les gouvernements successifs et le Congrès ont échoué à traiter ces problèmes et à maîtriser les effets de la mondialisation.

Une nation de « minorités majoritaires »

S’ajoutent à ces facteurs socio-économiques les évolutions démographiques qui transforment le pays et participent au moindre intérêt pour l’Europe : selon le bureau du recensement, d’ici 2060, les Etats-Unis seront devenus une nation de « minorités majoritaires », avec une population qui sera 44 % blanche (contre 62 % aujourd’hui) ; 29 % hispanique ou d’origine latino (contre 17 % aujourd’hui) ; 14 % noire ou afro-américaine (contre 13 % aujourd’hui) et 9 % asiatique (contre 5 % aujourd’hui).

Ces dynamiques internes à la société américaine ont des implications directes pour le lien transatlantique et l’action extérieure des Etats-Unis, trop souvent ignorées par les alliés européens. Les sénateurs et les représentants américains disent avoir de plus en plus de mal à convaincre leurs circonscriptions de l’importance de la relation transatlantique et des bénéfices de l’investissement financier des Etats-Unis au sein de l’OTAN ou des accords de libre-échange par exemple.

De même, les jeunes adultes de 18-34 ans, dont la vision du monde est façonnée par les attentats du 11 septembre 2001 et les interventions en Irak et en Afghanistan, ne souhaitent plus que les Etats-Unis jouent un rôle majeur dans les affaires internationales, et partagent avec une grande majorité d’Américains et de républicains un scepticisme à l’égard du multilatéralisme, en particulier l’ONU, dont l’image n’a cessé de se dégrader depuis la crise irakienne de 2002-2003. Le retrait du Partenariat Trans-Pacifique (TPP) n’était pas une surprise, car il ne bénéficiait de presque aucun soutien politique.

« Gérer  » la relation transatlantique

Le président Trump accélère la trajectoire déjà entamée sous l’administration Obama : un recentrage sur les intérêts américains, avec l’obsession supplémentaire de réduire le déficit commercial des Etats-Unis (avec la Chine et dans le secteur automobile) et une politique étrangère tournée vers l’« Indo-Pacifique ».

L’erreur européenne avait été de penser que le président Obama serait un président « européen », alors qu’il était en réalité le premier président « post-européen », et à juste titre : la Chine est déjà la plus grande économie du monde (18 % du PIB mondial), et les projections à l’horizon 2050 montrent que l’Inde pourrait prendre la deuxième place qu’occupent aujourd’hui les Etats-Unis, en passant de 7 % à 15 % du PIB mondial. L’UE à 27 ne représenterait plus que 9 % du PIB mondial en 2050 (contre 15 % aujourd’hui), à savoir moins que l’Inde.

Dans ce contexte, l’Europe doit de toute urgence définir une stratégie et des capacités communes pour pouvoir espérer encore peser un peu sur les enjeux internationaux et la politique américaine. La France a répondu à l’appel américain d’un meilleur partage du fardeau, en reprenant l’initiative en matière de coopération de défense européenne, partant du principe qu’une Europe stratégiquement plus autonome et forte est dans l’intérêt des Etats-Unis.

Vue de Washington, la relation personnelle que le président Macron a développée avec Trump est perçue comme un modèle pour « gérer » la relation transatlantique, car elle est franche et directe, et elle anticipe un monde où le leadership américain sera moins présent, en premier lieu en Europe et sur certains dossiers moins prioritaires pour les Etats-Unis et où les alliés européens devront prendre l’initiative. L’enjeu pour la France est de convaincre ses partenaires européens, très divisés sur la question, de renforcer le cadre d’action européen tout en préservant le lien transatlantique.

Par Alexandra de Hoop Scheffer, directrice du bureau de Paris du German Marshall Fund of the United States.

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