L’Europe doit s’opposer à la levée des sanctions contre la Russie

La levée des sanctions infligées à la Russie en réponse à son intervention en Ukraine a acquis le dangereux statut de sujet frivole – un thème sur lequel un candidat à la présidentielle peut dire tout ce qui lui passe par la tête, dans le seul but d’accrocher la une des journaux. Or la sécurité des Français est en jeu, même s’ils n’en sont pas convaincus. Croire que tous nos problèmes futurs seront au Moyen-Orient parce que nos problèmes actuels s’y trouvent, c’est céder à la tentation de chercher l’avenir dans le rétroviseur plutôt que dans le pare-brise.

Imaginons un monde, que l’élection de Donald Trump rend vraisemblable, où les Occidentaux feraient une croix sur les évènements survenus en Géorgie et en Ukraine depuis 2008 ; ils concèderaient à Vladimir Poutine une « zone d’influence » qui couvrirait l’ex-URSS, et supprimeraient les sanctions pour s’adonner à de juteuses affaires. Cela améliorerait-il les perspectives de sécurité du continent, sachant que ladite « zone d’influence » est nettement plus proche de nos frontières que la Syrie ? La réponse est clairement non.

En premier lieu, s’imaginer que l’homme du Kremlin aura la légitimité pour stabiliser l’Ukraine, où il sème le chaos depuis trois ans, est tout bonnement ridicule. Vladimir Poutine a perdu l’Ukraine pour longtemps, parce qu’avec Viktor Yanoukovitch il a soutenu un fort mauvais cheval. Et il l’a fait parce qu’il est le représentant du même type d’État oligarchique, inefficace et profondément corrompu. Qui s’assemble se ressemble.

L’Europe de l’ouest, victime collatérale de l’agression russe contre l’Ukraine

Cette question-là ne s’effacera pas simplement parce que les Occidentaux s’en désintéresseront. En cas de concession d’une « zone d’influence », on peut imaginer un démembrement de facto de l’Ukraine, à la faveur par exemple d’une alliance entre Moscou et quelques oligarques ukrainiens. Cela transformerait ce pays en une zone chaotique et majoritairement hostile au Kremlin, que Vladimir Poutine serait incapable de contrôler ou de faire fructifier : il est en effet à la tête d’un pays agressif, mais qui ne représente que 3% du PIB mondial ; quant à l’Ukraine, plus vaste que la France et peuplée de 45 millions d’habitants, c’est un morceau d’une autre taille que l’Abkhazie.

Ce scénario, assez vraisemblable, aurait forcément des conséquences, qu’il s’agisse de trafics de toutes sortes, de flux de réfugiés, ou d’immigration clandestine pour une Europe déjà fortement sollicitée par l’instabilité de son flanc sud.

Au passage, la question de la stabilisation se posera dans les mêmes termes en Syrie : dans un scénario désormais probable de consolidation de Bachar Al-Assad, il ne faut pas s’imaginer que le Kremlin mettra le même empressement à reconstruire qu’à détruire – tout simplement parce qu’il n’en a pas les moyens.

L’UE doit compenser le retrait américain

En Géorgie, la pression russe sur les tubes transportant les hydrocarbures de la Caspienne ne ferait que s’intensifier. Cela renforcerait mécaniquement la main du Kremlin dans ses relations avec ses clients majeurs – les Européens – alors que les États-Unis se sont, eux, affranchis de leur dépendance vis-à-vis de ces ressources.

Reste à envisager, comme les propos de Donald Trump y autorisent, l’abandon par l’OTAN des pays baltes, qui déstabiliserait ces derniers et consacrerait le déclin de la crédibilité d’une organisation essentielle à la sécurité de l’Europe.

Dans un contexte de retrait américain, que la nouvelle administration ne fera qu’amplifier, il ne sert à rien de battre sa coulpe pour les fautes occidentales à l’égard de la Russie. Celles-ci ne peuvent d’ailleurs être comparées à l’agression d’un pays aux frontières garanties par les cinq grandes puissances dans le cadre d’un accord de dénucléarisation, ce qui est le cas de l’Ukraine. Il faut faire valoir que la stabilité de l’ex-URSS est un enjeu majeur pour l’ensemble de l’Europe – c’est le message porté par les sanctions. Alors qu’une Internationale oligarchique russo-américaine semble se mettre en place, telle est la voie de l’indépendance, pour la France comme pour ses partenaires européens, qui doivent prendre au plus vite l’habitude d’aller faire du lobbying à Washington. L’absence de fermeté conduirait à la décadence du continent et de ses institutions.

Par Laurent Chamontin, spécialiste de la Russie et de l’Ukraine, auteur de L’Empire sans limites - pouvoir et société dans le monde russe (Editions de l’Aube, 2014).

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