L’Europe est un modèle de réussite, qui a unifié un continent morcelé. L’euro est bien accepté dans le monde, malgré les tentatives des économistes américains de nier son succès depuis sa création. Mais la croissance économique de l’Europe est à l’arrêt depuis la crise financière, et le chômage des jeunes est élevé.
L’austérité est habituellement pointée du doigt. Cette opinion n’est pas totalement infondée, mais les véritables problèmes sont plutôt dus à l’inefficacité de la gouvernance européenne, incapable de sortir des priorités héritées du passé, de prendre en compte les questions de répartition et de dégager une vision du rôle de l’Europe dans un monde globalisé.
Au sein de l’Union européenne, la part des dépenses publiques est en moyenne proche de 50 % du produit intérieur brut, mais les fonds consacrés à la recherche et aux universités d’excellence sont insuffisants. Les dépenses militaires y sont supérieures à celles cumulées de la Russie et de la Chine, mais l’Europe n’est de fait ni capable de gérer le conflit frontalier entre la Russie et l’Ukraine, ni d’envoyer une aide alimentaire dans des pays sinistrés, ni de stabiliser les régimes démocratiques en Afrique.
Surprofits pas réinvestis
L’essentiel du budget européen est accordé aux grandes exploitations agricoles. L’Europe taxe sévèrement l’emploi et la consommation des ménages, tandis que la spéculation financière, les émissions de gaz à effet de serre, le tabac et l’alcool sont sous-taxés. L’Europe subventionne toujours massivement les énergies fossiles, mais ne dispose que d’un réseau énergétique inefficace, et autorise le financement de nouvelles centrales nucléaires bien qu’elles ne soient pas rentables.
L’Europe accepte depuis cinq ans une baisse des salaires après impôts, mais ne se préoccupe pas du fait que les surprofits qui en résultent ne sont pas réinvestis. Les grandes entreprises ont des positions créditrices nettes, alors que les PME souffrent du resserrement des crédits. Par conséquent, le pouvoir d’achat des consommateurs est insuffisant et les entreprises rechignent à investir. Cet aspect de l’austérité est plus important que la prétendue « austérité » imposée par la réduction des déficits.
Le sud de l’Europe est exhorté à entreprendre des réformes structurelles, mais ce pilier de la politique est pris en otage par un agenda conservateur axé sur la réduction des salaires, surtout des plus faibles. Les gigantesques bénéfices dus aux monopoles, à la réglementation sur les activités commerciales et aux anciens privilèges détruisent l’emploi et les opportunités économiques. L’Europe accepte que les actifs financiers de la Grèce (probablement plus élevés que sa dette) soient détenus sans taxe à l’étranger plutôt que de faire le nécessaire pour leur rapatriement.
Privilégier les investissements immatériels
Le nouveau Fonds européen pour les investissements stratégiques va dans la bonne direction. Mais il importe de ne pas l’utiliser pour des projets qui ont été rejetés à juste titre par le passé (autoroutes et aéroports proches les uns des autres, tunnels). Il faut donner la priorité aux initiatives les mieux à même de tirer la croissance à long terme et de créer la demande à court terme ; privilégier désormais les investissements immatériels dont dépend la croissance des pays riches, au détriment des investissements d’infrastructures.
Ce fonds doit être complété par une « mesure exceptionnelle » autorisant les pays qui investissent essentiellement dans des biens immatériels à dépasser le plafond fixé par le pacte budgétaire. Cette proposition serait d’ailleurs plus restrictive que l’exception classique, qui accepte tous les investissements, y compris les projets d’autoroute et les dépenses militaires ! Elle devrait aussi être limitée à une durée de trois ans. Cette approche est préférable à l’actuelle stratégie, qui consiste à accorder indéfiniment un moratoire sur des objectifs sans critères précis.
L’Europe surmontera sa « crise de la cinquantaine » à condition que le secteur public soit rationalisé et réorienté sur l’avenir, que les impôts et les mesures incitatives soient utilisés pour favoriser l’emploi et stimuler la croissance. L’Europe doit investir dans son propre modèle d’économie environnementale et de cohésion sociale, plutôt que dans un système calqué sur les Etats-Unis ou l’Asie. C’est elle qui doit inspirer ses voisins et assumer un rôle prépondérant dans l’économie mondiale de 2050.
Karl Aiginger est directeur de l’Institut autrichien de recherches économiques (WIFO), à Vienne, coordinateur du projet « A new growth path for Europe » (Une nouvelle voie de croissance pour l’Europe), avec la participation de 32 partenaires européens (www.foreurope.eu)