L’Europe est devenue de fait le défenseur mondial des droits sur Internet

Durant les trente dernières années, les Etats-Unis ont été la principale source des infrastructures et des innovations devenues depuis indispensables dans notre quotidien. Ces évolutions sont essentiellement venues de start-up libérées des contraintes juridiques. Mais tout cela appartient désormais au passé.

En l’absence totale de supervision, le secteur des nouvelles technologies a fait régner l’anarchie concernant la confidentialité des utilisateurs. Récemment, les abus sont devenus hors de contrôle, ouvrant la porte à des affaires de surveillance, de désinformation ou de malveillance par des sociétés privées ou des Etats. Plus un jour ne passe sans que l’on soit informé d’une nouvelle fuite de données ou que l’on apprenne que des informations sensibles ont été collectées, vendues ou réutilisées de façons inimaginables.

Toutes ces affaires ont ébranlé la confiance des consommateurs envers ce secteur et attiré l’attention des législateurs. L’abandon du projet de construction d’un nouveau siège social d’Amazon à New York face à l’hostilité des habitants en est un bon exemple. Autre illustration de ce changement de paradigme : les villes, Paris en tête, n’hésitent plus à légiférer pour limiter les effets anarchiques de nouveaux services comme la location de trottinettes électriques. Désormais, les sociétés spécialisées dans l’intelligence artificielle, les véhicules autonomes et la robotique sont sous l’œil attentif de comités d’éthique toujours plus nombreux.

En 2002, la loi Sarbanes-Oxley

Le temps de la régulation est arrivé, ce qui va modifier les modes de fonctionnement et d’innovation des entreprises. Alors qu’elles sont restreintes par des frontières juridiques, les réglementations locales comme le Réglement général de protection des données (RGPD) sont en train de voir leur autorité s’étendre bien au-delà de leurs territoires initiaux. En effet, les conditions économiques et politiques actuelles confèrent à l’Union européenne (UE) – qui s’est imposée de fait comme le régulateur des droits d’Internet – un pouvoir immense.

La Silicon Valley va être rapidement contrainte de s’adapter, au moins partiellement, au modèle de « l’Europe qui protège » si elle veut conserver un accès à ce marché unique. Et dans l’hypothèse où ils seraient incapables de respecter les règles de l’UE, les Etats-Unis risqueraient de perdre leur place au sommet de la chaîne alimentaire du secteur.

Aux débuts d’Internet, et à la suite des scandales financiers d’Enron, Tyco et WorldCom, les organismes de régulation américains ont adopté la loi Sarbanes-Oxley en 2002. Cette dernière contenait un ensemble de nouvelles règles strictes, ainsi que des sanctions sévères afin d’accroître la transparence au niveau des données, de favoriser la concurrence et de pousser les entreprises à prendre leurs responsabilités.

Sous la menace de lourdes amendes en cas de non-conformité, et pour s’éviter d’importants efforts de mise en place et de tenue de registres différents en fonction des juridictions, les sociétés du monde entier ont adopté cette loi. Les Etats-Unis ont alors donné le ton à l’échelle mondiale.

Le RGPD… et bientôt la directive sur le droit d’auteur

Mais aujourd’hui, ce pouvoir passe dans les mains de l’Europe, qui devient l’autorité réglementaire de référence pour la majeure partie du monde occidental. Avec un produit intérieur brut de 18 800 milliards de dollars, l’UE est le plus vaste espace économique de la planète. Pour les entreprises, le choix est donc simple : soit concevoir des logiciels et des services pour chaque régime législatif, soit se conformer à la réglementation qui fait autorité. C’est déjà une réalité, le RGPD s’imposant rapidement comme la norme par défaut en matière de confidentialité des données sur Internet.

Il est peu probable qu’une autre entité dépasse un jour l’UE en tant qu’autorité de régulation des monopoles numériques. Cette dernière est actuellement la seule des grandes puissances mondiales à pouvoir adopter une réglementation à l’échelle du RGPD ou de la nouvelle directive européenne sur le droit d’auteur. La Chine est absente des débats en matière de confidentialité, puisqu’elle exploite toutes les données qu’elle récolte pour son programme de surveillance gouvernementale. Aux Etats-Unis, le Congrès est de plus en plus divisé, à tel point que des législations sont d’ores et déjà proposées uniquement par certains Etats, comme la Californie, plutôt qu’au niveau fédéral. Enfin, une fois le Brexit achevé, le Royaume-Uni représentera un marché trop petit et un gouvernement trop divisé pour pouvoir influencer la scène politique mondiale sans le soutien de l’UE.

Etant par la force des choses devenue le défenseur mondial des droits sur Internet, l’Europe est en position idéale pour définir les valeurs et principes de fonctionnement des innovations de demain. Reste désormais à déterminer l’étendue de sa sphère d’influence.

Emmanuel Schalit, polytechnicien, est PDG de Dashlane, entreprise de sécurité informatique.

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