Depuis le 31 janvier 2020, le divorce entre l’Union européenne (UE) et le Royaume-Uni est enfin prononcé. Une période de transition d’une année au plus, selon les souhaits du premier ministre Boris Johnson, s’ouvre entre les deux parties pour construire une nouvelle relation. Michel Barnier, le négociateur en chef pour l’UE, souhaite que l’on trouve un accord équilibré entre les deux parties, comme il l’a répété dans les médias le 3 février.
Boris Johnson a semblé le même jour abonder dans ce sens en s’engageant à ne pas faire de dumping commercial envers l’UE, tout en affirmant qu’il était hors de question que le Royaume-Uni continue de s’aligner sur les règles européennes. Ce dernier souhaite un accord de libre-échange, comme celui qui a été déjà négocié entre le Canada et l’UE, rien de plus, rien de moins.
Le poids économique de l’Union à 27, bien supérieur à celui du Royaume-Uni, pourrait laisser croire que l’UE aborde cette négociation en position de force. En fait, ce constat mérite d’être nuancé. Certes, le Royaume Uni est très dépendant du marché européen : près de 50 % de ses importations proviennent de l’UE et ses exportations, sensiblement inférieures, construisent une balance commerciale très déséquilibrée.
Mais le Royaume-Uni a moins à perdre que l’UE en cas de durcissement des conditions d’échange entre les deux entités. Il peut diversifier ses importations, rien ne l’empêche d’acheter ailleurs, tout en continuant d’amplifier le mouvement déjà engagé depuis plus de dix ans de croissance de ses exportations vers le reste du monde. Dans cette négociation, en cas de non-accord, l’Union européenne est donc bien plus exposée que le Royaume-Uni à une contraction drastique des flux bilatéraux que risquerait d’engendrer l’instauration de barrières douanières.
Une difficile position de l’UE face au Royaume-Uni
Autre difficulté à résoudre pour l’UE : elle se trouve face à un pays qui vient de recouvrer sa pleine indépendance sur le plan commercial, qui a donc toute latitude pour choisir, au cas par cas, secteur par secteur, géographie par géographie, où se situe son intérêt. Les Britanniques peuvent donc durcir leurs positions sur la pêche tout en se montrant plus accommodants dans les secteurs où leur dépendance est forte vis-à-vis de l’UE, particulièrement dans les productions où les chaînes de valeur sont partagées entre les deux entités (automobile, aéronautique par exemple).
Il n’en va pas de même pour l’Union à 27 dont les règles commerciales existent déjà, qui s’appuient sur une stratégie de libre-échange bien établie avec le reste du monde. Dans cette négociation, L’UE est donc quelque peu prisonnière d’un mandat politique déjà établi qu’elle ne peut modifier facilement. Son ADN d’origine sur le plan commercial est contenu dans le préambule du traité de Rome signé le 25 mars 1957 : « suppression progressive des restrictions aux échanges ».
Or, c’est justement cette ouverture sans restriction et sans contrepartie dont souhaite bénéficier le Royaume-Uni. Comment lui refuser ? Mais l’UE semble vouloir aller plus loin dans son degré d’exigence vis-à-vis de ce futur partenaire britannique. Elle veut essayer de se prémunir de tout dumping social, environnemental et fiscal à ses portes.
La faiblesse de l’arsenal technique réglementaire de l’UE
Louable ambition, mais de quels moyens dispose au juste l’UEpour imposer ce type de comportements commerciaux jugés trop agressifs ? Arrive-t-elle vraiment à bloquer ces pratiques parfois utilisées par la Chine. A-t-elle les moyens d’imposer à des pays comme le Vietnam ou le Bangladesh d’en faire plus sur le plan social et environnemental ? Quant au dumping fiscal, comment pourrait-elle en faire véritablement grief au Royaume-Uni si ce dernier décidait d’une telle stratégie, alors qu’il se pratique déjà au sein de l’UE à grande échelle et n’est pas réprimé ?
Il faudrait donc qu’à l’occasion de cette négociation l’UE soit en capacité de se doter d’un arsenal technique qu’elle n’a pas su mettre en place suffisamment jusqu’à présent, à l’intérieur comme vis-à-vis de l’extérieur ? La négociation commerciale avec le Royaume Uni risque donc d’agir comme un révélateur sur le plan politique : faire apparaître pour ce qu’elle est effectivement, une vaste zone de libre-échange largement ouverte sur le monde en conformité avec ses valeurs.
Mais, en même temps, pour ce qu’elle n’est pas, une Europe en capacité de se défendre et de se protéger contre les pratiques commerciales jugées déloyales de pays tiers, qui ne peuvent ou n’entendent pas financer chez eux un modèle social généreux comme dans l’UE, qui n’ont pas parfois la même sensibilité aux problèmes environnementaux, dont la fiscalité reste limitée au regard notamment de leurs faibles exigences en matière de redistribution.
Stéphane Madaule, professeur à l’INSEEC/HEIP Business School. Il est l’auteur de Questions d’Europe, L’Harmattan, 2019, 4e édition.