L'Europe, machine de guerre contre les droits sociaux ?

Le projet européen donnait jusqu'à présent la priorité aux libertés économiques, aux dépens des droits sociaux fondamentaux. Bâtir une Union européenne solidaire est pourtant possible.

Vouer l’Union européenne aux gémonies est devenu un rituel politique en vogue, pratiqué à loisir et sans discernement. Les voix qui cèdent à cette facilité tendent à dépeindre l’Europe comme un monstre monolithique, contre lequel viendraient se fracasser inexorablement les rêves de justice sociale et de protection des citoyens. L’analyse s’appuie sur le constat de la gravité indéniable de la situation. Comment ne pas exprimer sa colère lorsque l’on est citoyen d’un continent où plus de 26 millions de travailleurs sont sur le carreau, où près de 125 millions de personnes vivent sous la menace de la pauvreté ou de l’exclusion sociale, et où le dépeçage des capacités industrielles est organisé sans scrupule par des entreprises multinationales prédatrices et spéculatrices ?

Mais la rhétorique qui s’ensuit révèle souvent de graves lacunes, quand elle ne tourne pas court. Elle manque de clarté dans la désignation des responsables du marasme. Evoquer «Bruxelles» demeure un raccourci simpliste, aussi répandu que regrettable. Elle méconnaît surtout l’une des principales raisons qui éclaire l’impasse dans laquelle le président conservateur de la Commission a confiné le projet européen : la priorité systématique accordée aux libertés économiques, aux dépens des droits sociaux fondamentaux.

Deux exemples illustrent cette logique qui détricote peu à peu les acquis sociaux au fondement même du modèle européen.

Immobilisme et austérité entêtée

Le premier, c’est le refus de M. Barroso de faire de l’emploi une vraie priorité et d’entendre les propositions des socialistes, en écho à celles de la Confédération européenne des syndicats (CES), que ce soit sur la restructuration des entreprises, le salaire minimum, la prise en considération de l’impact de la crise sur les conditions de travail ou le pilier social de l’Union économique ou monétaire. Son immobilisme traduit un laisser-faire pour qui les normes conçues pour préserver des emplois décents et de qualité entravent le bon fonctionnement du marché intérieur.

Le second, c’est la contribution de la Commission européenne aux missions de la Troïka aux côtés de la Banque centrale européenne et du Fonds monétaire international. Elle a été la véritable cheville ouvrière de l’entêtement à imposer des politiques d’austérité à des Etats membres déjà fragiles. Partout où ils sont intervenus, les émissaires de l’exécutif libéral européen ont imposé des mesures qui ont affaibli les systèmes de négociation collective et de protection sociale. En Grèce, ils sont allés jusqu’à enfreindre les règles du dialogue social, violer la Charte sociale européenne et les conventions cadres de l’Organisation internationale du travail, en abaissant le salaire minimum des jeunes de moins de 25 ans à un montant inférieur au seuil de pauvreté.

Comme si cela n’était pas suffisant, dans l’état actuel du droit européen, la Cour de justice, lorsqu’elle est saisie d’un cas opposant le droit social à une «liberté du marché intérieur», fait systématiquement prévaloir cette dernière, mettant en place une véritable machine de guerre contre l’Europe sociale.

 Une Europe «aussi sociale qu'économique»

Face à cette offensive sur les droits sociaux, la riposte doit être ferme. Elle passe par un changement de paradigme et l’exigence que les droits sociaux soient mis sur un pied d’égalité avec les libertés économiques. Cette ambition ne relève pas de l’utopie.

Un premier jalon a été posé dans le contrat de coalition du gouvernement allemand qui, grâce à la pugnacité de Martin Schulz, notre candidat à la présidence de la Commission, précise «qu’il convient de s’assurer que les droits sociaux prévus par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne soient respectés face aux libertés du marché intérieur».

Le manifeste du Parti socialiste européen pour les élections du 25 mai stipule que «nous devrons veiller à ce que l’Union européenne soit réellement aussi sociale qu’économique : les libertés économiques ne peuvent l’emporter sur les droits sociaux».

Cette étape franchie, nous estimons qu’il faudra viser plus haut, en établissant dans le traité la primauté des droits sociaux sur toute autre dimension fondée sur le dogme d’une concurrence aveugle. L’idée est d’ores et déjà soutenue par le chef du gouvernement italien, Matteo Renzi, qui présidera le Conseil de l’Union européenne à partir du 1er juillet.

Enfin, la CES adhère sans faille à ce combat. Il est temps, par ce moyen, de s’opposer aux dérives xénophobes comme libérales et de bâtir une Union européenne solidaire. C’est l’essence du projet de défense des droits des travailleurs que nous portons dans cette campagne et que nous mettrons en œuvre avec la famille socialiste européenne.

Pervenche Beres (tête de liste du PS en Ile-de-France, Présidente de la commission de l’emploi & des affaires sociales du Parlement européen) et Édouard Martin (Candidat PS aux européennes, syndicaliste).

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