L’Europe peut accueillir dignement les réfugiés

La crise des réfugiés menace davantage encore le projet européen que n’avait pu le faire la crise de la zone euro après 2008. Pour avoir une chance de la surmonter sans défaire l’Europe, il faut desserrer le carcan de l’austérité. Le gouvernement français doit d’urgence faire des propositions en ce sens à nos partenaires, et notamment à nos voisins allemands.

Il y a un an, le pire de la crise européenne paraissait derrière nous. Depuis 2010, de profondes transformations de l’architecture de la zone euro ont été mises en œuvre avec la création du Mécanisme européen de stabilité (MES) doté de 700 milliards d’euros, le démarrage de l’Union bancaire qui devrait permettre de dissocier les difficultés du système financier et celles des États ou encore la décision de la Banque centrale européenne d’intervenir systématiquement en cas de spéculation excessive et d’injecter plus de 1 000 milliards d’euros pour soutenir l’économie européenne.

On a ainsi, même si c’était le plus souvent au dernier moment, corrigé plusieurs des défauts majeurs de l’architecture initiale de la zone euro. Son avenir n’est cependant pas encore assuré, notamment parce que ces mesures se sont accompagnées d’un renforcement de l’austérité budgétaire qui empêche l’économie européenne de repartir (et les États de se désendetter).

L’afflux massif de réfugiés

De plus, les réformes engagées l’ont été pour l’essentiel dans un cadre intergouvernemental, ce qui pose de graves problèmes persistants de légitimation démocratique, comme on l’a observé par exemple vis-à-vis de la Grèce. Il n’empêche, sur le terrain de l’économie le bout du tunnel paraissait en vue.

Mais l’afflux massif de réfugiés, en provenance notamment de Syrie, fait rebondir la crise européenne. Cette crise pose bien entendu la question des défaillances criantes de la politique extérieure et de défense commune de l’Europe ainsi que celle de l’asile et de l’immigration. Mais avant de pouvoir s’attaquer à ces dossiers difficiles, il faut déjà réussir à faire face à l’urgence humanitaire sans que l’Europe ne se défasse. Or, cet afflux a en particulier fragilisé la Grèce et l’Italie, deux des pays qui ont été au centre de la crise de l’euro.

Cette nouvelle épreuve a renforcé l’antagonisme entre ces pays et les institutions européennes avec la menace d’exclure la Grèce de l’espace Schengen. Parallèlement, le fossé avec les pays d’Europe centrale et orientale s’est creusé tout en apportant de l’eau au moulin des Britanniques tentés par le Brexit. Enfin, cette crise affaiblit considérablement la position d’Angela Merkel dans son propre pays. Elle se retrouve en effet isolée en Europe sur sa position d’ouverture vis-à-vis des réfugiés. Ceux qui ont combattu les prises de position, souvent contre-productives, de son gouvernement dans la crise de la zone euro, pourraient être tentés de s’en réjouir.

Mais un tel esprit de revanche n’a jamais fait avancer les choses, au contraire. De plus, à propos des réfugiés, c’est Angela Merkel qui a incarné l’honneur de l’Europe. Il faut donc à tout prix éviter que les autres dirigeants européens puissent tirer de ses mésaventures la conclusion que seuls le cynisme et la démagogie xénophobe paient.

Abaisser le pont-levis de la « forteresse Europe »

A quelle condition pourrait-on sortir par le haut de la crise provoquée par l’afflux massif de réfugiés ? Tout d’abord soyons clairs : cette question n’est absolument pas en première instance une question économique. Les discours sur le thème « l’Europe vieillissante va avoir besoin de main-d’œuvre et c’est pour cela qu’il faut laisser entrer ces réfugiés » sont insupportables. Sans parler de ceux qui insistent sur le fait que les personnes qui cherchent asile en Europe sont plutôt les élites bien formées des pays de départ : ce serait presque au contraire une raison de s’opposer à ce que l’Europe les prive de leur main-d’œuvre qualifiée.

Non. Si nous devons impérativement abaisser le pont-levis de la « forteresse Europe », c’est d’abord pour des raisons humanitaires, parce que ces gens risquent leur vie s’ils restent dans leur pays et parce que nous ne pouvons plus laisser la charge de s’en occuper aux seuls pays voisins comme le Liban, la Turquie ou la Jordanie, qui risquent d’être déstabilisés à leur tour. Après la seconde guerre mondiale ou encore après la fin de la guerre d’Algérie, la France et l’Europe ont déjà surmonté des exodes de beaucoup plus grande ampleur. Pourquoi n’ont-ils pas été plus problématiques ? Essentiellement parce que l’accueil des réfugiés a été à l’époque financé à crédit.

Avec le plan Marshall, les Américains ont permis en particulier l’installation en Allemagne de millions de réfugiés venus de l’Est. Si on cherche à régler le problème en répartissant autrement le gâteau préexistant, les conflits sont évidemment programmés. Si, au contraire, on finance l’installation des réfugiés à crédit, les revenus du reste de la population ne diminuent pas et le volume de l’activité globale augmente d’autant…

Et ces réfugiés posent paradoxalement d’autant moins problème qu’on se montre généreux avec eux : c’est en effet surtout si les revenus qu’on leur alloue sont trop faibles qu’ils risquent d’exercer un dumping social en s’adonnant au travail au noir… Par la suite, grâce à l’activité économique qu’ils engendrent une fois installés (un processus qui peut aller vite si l’opération est bien menée), le remboursement de l’endettement contracté ne devrait pas poser de difficultés.

Accueillir décemment 2 millions de réfugiés dans une Europe qui compte 510 millions d’habitants, cela coûte de l’ordre de 30 milliards d’euros par an, soit 0,2 % du PIB de l’Union. Comment considérer qu’il serait impossible de s’endetter collectivement à ce niveau dans ce but au moment où la Banque centrale européenne fait marcher la planche à billet pour injecter chaque mois 60 milliards d’euros supplémentaires dans la machine européenne ?

Le gouvernement français devrait donc d’urgence proposer un compromis à son homologue allemand en se saisissant de la proposition de son ministre des finances d’instaurer une taxe pour financer l’accueil des réfugiés : en contrepartie d’une répartition plus équitable des réfugiés en Europe, l’Allemagne accepte que l’Union s’endette pour aider ses voisins à les accueillir dignement.

Pervenche Berès préside de la délégation socialiste française au Parlement européen, Guillaume Duval est le rédacteur en chef d’Alternatives économiques et Yannick Jadot est député européen EELV.

Deja una respuesta

Tu dirección de correo electrónico no será publicada. Los campos obligatorios están marcados con *