L’Europe se fait-elle la complice de Bolsonaro dans la dévastation de l’Amazonie ?

L’accord commercial historique conclu le 28 juin entre l’Union européenne et le Mercosur [Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay] est une épée à double tranchant pour le Brésil. D’une part, on ne peut mésestimer son importance à long terme pour l’intégration de l’économie fermée du pays dans les chaînes de valeur mondiales. D’autre part, jusqu’à ce qu’il soit intégralement mis en œuvre, et peut-être au-delà, il donne le feu vert au gouvernement d’extrême droite de Jair Bolsonaro pour accélérer sa politique de destruction des écosystèmes et des peuples traditionnels du Brésil.

Comme chacun sait, le nouveau président a été élu en promettant de démanteler les agences et réglementations environnementales, de « mettre un point final à tout activisme » et de ne plus accorder « un seul centimètre » de terre aux autochtones. Son ministre de l’environnement Ricardo Salles a tenu ces promesses : il a bâillonné Ibama, l’agence fédérale de l’environnement, et fermé le service dédié au changement climatique, lequel était chargé de définir et mettre en œuvre les politiques permettant au Brésil de remplir ses engagements dans le cadre de l’accord de Paris. Résultat : la déforestation en juin était de 88 % supérieure au chiffre de juin 2018.

Alors que le Brésil perd chaque année quelque 8 000 kilomètres carrés de forêt – près de 106 fois la superficie de Paris – sur le seul territoire amazonien, M. Salles a affirmé que cela représentait une « déforestation quasi nulle ». Citant des données fausses ou déformées, le régime prétend que le pays protège déjà trop la forêt et qu’il fait un meilleur travail de préservation que les agriculteurs brésiliens. Le message implicite est que l’agriculture brésilienne ne peut renoncer à la déforestation.

Le recours au principe de précaution

L’Europe représente un marché crucial pour les produits brésiliens. Elle est le deuxième plus gros acheteur de soja (10 %) et d’avoine (16 %), le premier acheteur de café (58 %) et le troisième de sucre (5 %). Grâce à la nouvelle politique de tarifs douaniers, ces chiffres vont augmenter, tout comme les exportations de bœuf, principale cause de la déforestation. Il s’agit là d’un levier qui aurait pu être employé pour réfréner Bolsonaro, mais qui n’a pas été utilisé.

Ainsi privés de leur principal outil de pression, les organisations environnementales et les mouvements indigènes brésiliens doivent se préparer à des temps encore plus difficiles. Cela se manifeste déjà clairement dans l’intention non dissimulée du gouvernement de supprimer l’Amazon Fund, un fond d’un milliard de dollars destiné à soutenir des projets de développement durable. La perte de ce fonds constituerait un coup dur pour les ONG et pour Ibama, dont les opérations d’inspection forestière sont financées par cette structure.

Pire, les criminels environnementaux se sentiront encore plus encouragés après le succès politique de Bolsonaro face aux Européens lors du G20. L’accord commercial de libre-échange contient sans doute des engagements en matière de développement durable. Il préserve certaines initiatives du secteur privé sur l’agriculture durable, comme le moratoire sur le soja. Par ailleurs, dans le chapitre (toujours en discussions) concernant sa mise en œuvre, l’accord prévoirait le recours au principe de précaution.

Une large place à de possibles dérapages

Mais le ministre brésilien de l’agriculture a d’ores et déjà fait savoir que les Européens ne seront pas en mesure d’empêcher l’entrée de produits brésiliens au motif que le pays enfreindrait les règles environnementales. Aux yeux des dirigeants brésiliens, la charge de la preuve devra revenir à l’accusateur. Il est aisé de voir la large place laissée ici à différentes interprétations.

Dans les années qui viennent, avant l’entrée en vigueur du traité, le Brésil pourra facilement « verdir » son modèle agricole en profitant des lacunes de l’accord. Par exemple, le projet de loi déposé au Sénat par le fils aîné du président entend éliminer les zones protégées au sein des propriétés rurales, ce qui entraînera l’ouverture à la déforestation légale d’une superficie équivalente à la France et l’Allemagne réunies.

Une large place est également laissée à de possibles dérapages. Selon Paulo Barreto, du centre de recherche Imazon (Institut de l’homme et de l’environnement d’Amazonie), si l’accord accroît les importations de bœuf en Europe, il est probable que le risque de déforestation augmentera même s’il existe des règles environnementales sur l’origine des importations – la demande supplémentaire devra être satisfaite par la déforestation d’autres secteurs, ce qui se produira inévitablement si la gouvernance publique diminue, comme c’est d’ores et déjà le cas.

« La confiance, c’est bien ; le contrôle, c’est mieux »

Il est possible qu’en concluant cet accord maintenant, l’UE cherche à imposer un certain degré de multilatéralisme à Jair Bolsonaro, un isolationniste taillé dans la même étoffe que l’alt-right [ultra-droite] américaine. L’hypothèse stratégique semble être que le président brésilien, soumis aux contraintes du traité, sera obligé de respecter les règles du jeu. Au vu de son incapacité, vérifiée à de multiples reprises, à refréner les autocrates dans l’espoir qu’ils finiront par agir normalement, l’Europe devrait pourtant savoir qu’elle se berce d’illusions.

Les Parlements nationaux auront l’occasion de réparer l’erreur de Bruxelles et de préserver la réputation des importateurs de produits brésiliens en imposant, avant ratification de l’accord, certaines procédures claires de conformité et de transparence. Comme on dit en allemand, Vertrauen ist gut, Kontrolle ist besser (La confiance, c’est bien ; le contrôle, c’est mieux).

Carlos Rittl est le secrétaire exécutif de l’Observatório do clima, un réseau de quarante-sept organisations de la société civile brésilienne. Cette tribune a été traduite de l’anglais par Gille Berton.

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