L'eurozone est-elle condamnée à exploser ?

Comme vient de le confirmer la commission européenne, les mauvaises prévisions de croissance laissent supposer que les objectifs en matière de déficit public et donc de réduction de notre endettement ne seront pas atteints. Faut-il vraiment s'en alarmer ?

Quels que soient les problèmes de financement qu'il pose, ce n'est sans doute pas l'endettement public de certains Etats qui menace le plus sérieusement la zone euro, mais la divergence croissante des économies des pays membres.

Depuis la création de la zone euro, les dirigeants européens n'ont cessé d'évoquer la convergence qu'il fallait en attendre. Au lieu de quoi, les divergences n'ont cessé de s'accentuer.

L'asymétrie croissante de la zone euro conduit à s'interroger sur ses chances de survie à long terme. La zone euro réunit des pays ayant des structures économiques et sociales foncièrement différentes.

Loin de réduire cette hétérogénéité, la spécialisation induite par l'union monétaire n'a fait que la renforcer. Les entreprises n'ont plus à craindre qu'un ajustement du taux de change porte atteinte, du jour au lendemain, à leur compétitivité. Elles tendent à s'établir là où les conditions – climat social, formation de la main-d'œuvre, R & D, tissu industriel, c'est-à-dire en particulier densité et qualité des sous-traitants - leur paraissent les meilleures, quitte à exporter vers d'autres pays de la zone.

DÉSÉQUILIBRE DOMESTIQUE CHRONIQUE

Cette spécialisation propre à toute union monétaire est encore accentuée par le déséquilibre domestique chronique entre l'épargne et l'investissement qui caractérise des pays du nord, en premier lieu l'Allemagne. Les pays "épargnants" développent des industries fortement exportatrices. Les pays "consommateurs" favorisent davantage les services.

Comme la propension à exporter des services est plus faible que celle de l'industrie, cette spécialisation induit des excédents structurels chez les uns et des déficits structurels chez les autres. Ainsi se forment de véritables cercles vertueux ici et vicieux là.

Le développement d'industries de moyenne-haute technologie exige des services qualifiés, notamment en matière d'éducation et de recherche, en même temps qu'il encourage leur essor.

Le processus inverse se développe dans les pays frappés par la désindustrialisation qui tendent à se spécialiser dans les activités de services susceptibles d'échapper à la concurrence comme le tourisme ou le service aux personnes. La productivité de ces services progresse lentement et ils offrent de faibles rémunérations.

Dès lors qu'une part croissante de la population active s'y consacre, une baisse du niveau de vie paraît inéluctable. Enfin, les pays spécialisés dans les industries de moyen-haut de gamme attirent tout naturellement les migrants qualifiés des pays de l'Est ou du tiers monde. Il est à craindre que, non seulement, ce mouvement ne s'amplifie, mais qu'au sein même de la zone euro, une partie croissante des élites des pays du Sud iront travailler dans les pays d'Europe du nord.

MÊME ASYMÉTRIE

Le mécanisme qui régit la zone euro, loin de contrecarrer cet écartèlement progressif de l'Europe, ne fait que la confirmer. Il se caractérise par la même asymétrie que Keynes soulignait déjà, en 1941, quand il reprochait à l'étalon-or de rendre "l'ajustement obligatoire pour les débiteurs et volontaire pour les créditeurs".

Le système qui fonctionne dans la zone euro n'impose, lui non plus, aucune contrainte aux pays excédentaires. Les politiques d'austérité, en freinant la demande, réduisent les profits des entreprises et compromettent ainsi leurs investissements et donc leur capacité à innover.

Pour rétablir la profitabilité tout en favorisant l'emploi à court terme, les gouvernements cherchent à réduire les charges sur les bas salaires, ce qui profite en premier lieu aux entreprises de services peu qualifiés plutôt qu'aux entreprises industrielles, exposées à la concurrence internationale, qui versent des salaires relativement plus élevés.

En condamnant des enfants à grandir au même rythme que des adultes, on en fait des nains. De même, pour rapprocher des pays ayant des structures socio-économiques foncièrement différentes, il aurait fallu leur appliquer des traitements clairement différenciés. Au contraire, en mettant l'accent sur des politiques économiques plutôt que sur le rapprochement des économies, les " critères de convergence " favorisent en réalité la divergence des Etats membres.

Deux alternatives Deux approches alternatives sont envisageables. La première consisterait à considérer la zone euro comme un tout. Il n'y aurait plus lieu alors de s'appesantir sur les excédents courants de certains Etats et sur les déficits des autres, ces déséquilibres courants étant compensés par des transferts de capitaux.

Cette approche n'impliquerait pas forcément l'obligation pour les Etats excédentaires du Nord d'aider massivement et durablement les pays déficitaires du Sud, à l'image de ce que font l'Italie du nord ou l'Allemagne occidentale en faveur respectivement du Mezzogiorno ou de l'ex-RDA.

SOLIDARITÉ DIFFICILEMENT CONCEVABLE

Cette solidarité n'est pas seulement difficilement concevable dans un ensemble sans unité politique comme l'est l'Union européenne, elle risquerait de plus de figer les écarts de développement comme c'est précisément le cas entre l'Italie du Nord et celle du Sud. Un flux d'investissements à grande échelle des pays à balance courante excédentaire vers les pays à balance courante déficitaire paraît, à première vue, plus concevable.

C'est par exemple ce qui se passe depuis des années entre la Chine et les Etats-Unis. Ces investissements peuvent permettre le redressement à terme des économies du Sud. Encore faut-il que ces capitaux servent à financer des investissements susceptibles d'étoffer l'appareil de production, et non par exemple une spéculation immobilière comme ce fut le cas en Espagne et dans d'autres pays du Sud.

Une union de transferts serait conforme à l'équilibre comptable qui veut qu'un flux dans un sens soit ipso facto compensé par un autre flux en sens contraire. Mais, elle suscite des réticences des pays du Nord qui risquent, de ce fait, de remettre en question, tôt ou tard, la zone euro. C'est pourquoi il paraît nécessaire d'instaurer un mécanisme visant à rééquilibrer les balances courantes entre pays européens. La référence au Plan proposé par Keynes à Bretton Woods s'impose.

L'économiste anglais considérait que les pays excédentaires étaient aussi responsables des déséquilibres internationaux que les pays déficitaires. Il préconisait donc que, parallèlement aux contraintes pesant sur les pays en déficit, d'autres contraintes s'exercent sur les pays excédentaires. Les nouvelles règles de fonctionnement de l'Europe (" six-pack ") prévoient déjà que les pays ne doivent pas avoir d'excédent extérieur excessif (6% du PIB).

Mais, les restrictions à la mise en œuvre de sanctions à l'encontre de pays excédentaires sont telles que cette règle est vouée à n'être qu'une pétition de principe. La mise en œuvre d'un véritable mécanisme de rééquilibrage des balances courantes ouvrirait pourtant la voie à un politique communautaire dans laquelle les pays excédentaires seraient invités à relancer leur économie et à tirer ce faisant la croissance de la zone euro.

On nous dira que ces propositions ne sont guère réalistes, compte tenu des états d'esprit qui prévalent aujourd'hui au sein de l'Union Européenne. Reste à savoir s'il y a d'autres issues pour sauver une Europe monétaire écartelée.

Par André Grjebine, directeur de recherche à Sciences Po, Centre d'Etudes et de Recherches Internationales.

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