L’évasion fiscale est un des instruments de domination d’une oligarchie

Si l’évasion fiscale finit sa course sous les palmiers d’îles lointaines ou de pays d’Amérique du Sud comme le Panama, elle s’organise en réalité au cœur des pays les plus développés avec l’Etat du Delaware, aux Etats-Unis, et les paradis fiscaux qui sont au cœur de l’Europe comme le Luxembourg, le Royaume-Uni ou la Suisse.

L’évasion fiscale est un des instruments de domination des plus riches pour obtenir, avec la construction de déficits publics, le consentement des peuples à rembourser des dettes qui ont pour réelle vocation d’enrichir toujours plus les déjà nantis. Le refus des plus riches de contribuer aux solidarités nationales en payant leurs impôts à hauteur de leur fortune est donc confirmé avec les dernières révélations sur les montages opaques d’une société panaméenne. Il s’agit bien d’une oligarchie qui, à l’échelle de la planète financiarisée pour le seul profit de ses membres, organise, dans le secret, le plus grand casse des temps dits « modernes ».

En France, l’intégralité de la classe dominante est mobilisée depuis le sommet de l’Etat, avec un paquebot de Bercy qui vogue sous pavillon de complaisance, et le soutien ou la complicité de nombreux énarques, d’avocats fiscalistes, de banquiers, d’économistes à la langue experte, de patrons et d’une partie de la presse.

Ainsi une dérogation au droit commun instituée par une loi en 1977 aboutit à ce que seul le ministre du budget ait le pouvoir d’engager ou non des poursuites auprès des tribunaux correctionnels à propos de fraudeurs fiscaux. Le ministre du budget joue le rôle de chef de gare, avec la possibilité d’aiguiller certains d’entre eux vers la Commission des infractions fiscales (CIF) qui renvoie dans 9 cas sur 10 en correctionnelle avec des risques de prison, avec ou sans sursis.

Le « verrou de Bercy »

Mais il peut aussi proposer aux contribuables fraudeurs de son choix la porte de sortie des cellules de « dégrisement », de « repentance » ou de « régularisation » avec la garantie d’échapper à la menace de poursuites pénales, à condition que les impôts dus soient acquittés et agrémentés de quelques pénalités. Alors, quand le ministre du budget, Jérôme Cahuzac, possède un compte non déclaré en Suisse, comment fait-on ?

Lorsque Bernard Cazeneuve lui a succédé en disant lors de sa première intervention : « On ne remplace par Jérôme Cahuzac, on lui succède modestement », cette formule semblait minimiser le comportement fraudeur de son prédécesseur. D’ailleurs Bernard Cazeneuve et le gouvernement de l’époque n’ont pas souhaité supprimer ce qui est communément appelé le « verrou de Bercy ».

En Europe, le dumping fiscal a de beaux jours devant lui puisque, dans le domaine de la fiscalité, les décisions doivent être votées à l’unanimité. Si bien que chaque Etat dispose de fait, que ce soit le Luxembourg ou l’Autriche, d’un droit de veto pour maintenir la concurrence fiscale entre les pays.

Cette volonté a été confirmée par l’oligarchie lorsqu’elle a choisi de coopter, en juillet 2014, à la tête de l’exécutif, Jean-Claude Juncker qui a été, de 2002 à 2010, à la fois premier ministre et ministre des finances du Luxembourg, tout en étant président de l’Eurogroupe, instance de réunion des ministres des finances de la zone euro. Mais ce n’est que grâce à un ancien salarié d’un des plus gros cabinets d’audit, PwC, Antoine Deltour, et au formidable travail du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), que les 548 arrangements fiscaux négociés, pendant cette période par le Luxembourg, avec des multinationales et de grosses entreprises, sont désormais tombés dans le domaine public.

Impunité

Ces rescrits fiscaux sont une sorte de commercialisation de la souveraineté nationale du Luxembourg. Le signal donné aux peuples européens est clair : celui qui occupait toutes les responsabilités ayant à voir avec ces Tax rulings est nommé président de la Commission Européenne et celui qui a eu le courage de les dévoiler doit comparaître, à partir du 26 avril, devant la justice luxembourgeoise, avec une possible peine de cinq ans d’emprisonnement et une amende de plus d’un million d’euros.

L’impunité de ceux qui concentrent toutes les formes de richesse et de pouvoir est démontrée par le fait que les délinquants en col blanc sont dénoncés auprès de l’opinion, non par le résultat de la traque fiscale et des échanges automatiques d’informations entre pays mis en place par l’OCDE, mais de manière massive, par des lanceurs d’alerte, des salariés sous anonymat, et l’aide précieuse de ces journalistes de l’ICIJ et de leur belle solidarité pour arriver à travailler ensemble et dans le secret pendant des mois. Secret qui renvoie en creux à toutes les formes de secret mobilisées par les puissants : secret bancaire, fiscal, fiduciaire, des affaires ou encore le secret défense.

Toutes ces formes de secret sont révélatrices de la montée des malversations à maintenir cachées. Aujourd’hui, l’opacité et le machiavélisme des montages fiscaux des machines infernales que sont devenues les banques et les multinationales ne peuvent être dévoilés que par ceux qui en actionnent les commandes. Leur courage résonne comme un véritable défi à la malhonnêteté des fraudeurs.

En France, les affaires des familles Bettencourt, Wildenstein ou Wendel n’ont pu être révélées que grâce à des conflits familiaux et non par la traque impitoyable des services de Bercy dont les effectifs ont baissé de plusieurs dizaines de milliers de fonctionnaires depuis le début des années 2000. Cette réduction est, pour les nantis, un « bon » coup double. La diminution des dépenses publiques est susceptible de donner lieu à de nouveaux cadeaux en leur faveur tandis que cet affaiblissement des moyens du ministère constitue le meilleur gage de l’impunité de la fraude fiscale.

Les Etats-Unis genre Zorro

Le pactole de l’évasion fiscale est l’objet de toutes les convoitises. Les Etats-Unis prennent volontiers la posture avantageuse du courageux justicier de bandes dessinées, genre Zorro, pour mieux dissimuler ce qui les symbolise le mieux, l’oncle Picsou. La loi Fatca (Foreing Account Tax Compliance Act) conçue en 2010 par les Etats-Unis, « est une législation extraterritoriale américaine unilatérale assurant aux Etats-Unis toute l’information dont ils ont besoin », a déclaré devant les sénateurs français le directeur du Centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE, Pascal Saint-Amans.

Les banques étrangères doivent en effet transmettre les indications concernant leurs clients américains avec le montant de leurs comptes, sous peine d’un prélèvement à la source de 30 % de leurs revenus réalisés aux Etats-Unis. Mais sans réciprocité.

Cette loi entend favoriser leurs propres paradis fiscaux dont celui du Delaware, le plus important et le plus connu, mais aussi ceux du Nevada et du Wyoming, sans compter quelques îles sous contrôle. Les Etats-Unis persistent dans leur refus de réciprocité des règles qu’ils imposent aux autres. En effet, ils n’ont pas signé l’accord multilatéral d’échange automatique sur les comptes bancaires mis au point par l’OCDE en octobre 2014 et signé par plus de 100 pays.

Cet accord se réalisera entre administrations fiscales sans contrainte, sans contrôle et sans vérification sous le sceau du secret. Le Panama, lui, a bien signé cet accord mais il en a été expulsé le 26 février car, selon Pascal Saint-Amans, ce pays « n’a pas l’intention d’échanger ses informations conformément au standard défini par l’OCDE à la demande du G20, mais au cas par cas, avec le pays de son choix et selon ses propres règles. Nous le sortons donc de la liste officielle des pays engagés dans l’échange automatique. » Le hasard fait tout de même parfois bien les choses car les responsables de cet accord piloté par les pays les plus riches auraient été bien gênés avec la publication de l’affaire « Panama papers ».

Les dizaines de milliards d’argent volage à travers le monde font l’objet non seulement d’une guerre de classe que mènent les plus riches à leur profit, mais également d’une guerre entre les pays développés et ceux en état de développement, mais toujours pour le bonheur des riches et la prospérité de leurs arrangements entre amis, tout en faisant croire, comme d’habitude, que l’évasion fiscale, c’est ter-mi-né !

Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot (sociologues). Ils sont notamment les auteurs de Tentative d’évasion (fiscale) (Zones, 2015).

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