L'heure de gloire turque au Moyen-Orient touche à sa fin

La Turquie est en position de force sur la scène régionale et internationale. Son économie de marché solide, la vigueur de sa démocratie, son influence culturelle et la mise à l'écart de menaces de longue date, à savoir l'islamisme, le nationalisme ethnique, le militarisme et l'autoritarisme, semblent consacrer son heure de gloire.

Pourtant, les Turcs commencent à se demander si leur chance ne va pas tourner. La température monte au Moyen-Orient, et les frontières de l'Est turc n'y sont pas insensibles. Tout était plus simple au début des années 2000, quand la Turquie pouvait se permettre d'être neutre. Que ce soit avec Israël ou l'Iran, elle maintenait l'ouverture économique de ses frontières et encourageait l'intégration d'infrastructures entre les pays voisins et la création de zones régionales de libre-échange. Cette politique de "zéro problème" est désormais un idéal lointain.

De coopération, les relations avec l'Iran se sont transformées en rivalité pour une influence sur le monde arabe. Tous deux défendent respectivement les intérêts sunnites et chiites et ont pris des positions opposées sur la couverture antimissiles proposée par l'OTAN. Les relations avec l'Irak, précédemment marquées par un effort d'entente avec toutes les factions politiques, se sont détériorées. Ankara a subi un revers après la défaite de la faction qu'elle soutenait aux élections irakiennes, au profit d'un rapprochement de Bagdad avec Téhéran et Damas.

La Turquie a soutenu les révolutionnaires de la place Tahrir, qui apprécient le charisme du premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, mais sont néanmoins clairs : ils veulent suivre un modèle égyptien, et non turc. Ils se méfient également de l'ambition turque de leur retirer le rôle de chef de file du monde arabe. Si la dégradation des relations turco-israéliennes, depuis 2009, a amélioré l'image de la Turquie dans le monde arabe, elle risque, sur le long terme, de menacer les relations avec l'allié américain.

De tous les bouleversements du "printemps arabe", les difficultés du voisin syrien affectent particulièrement la Turquie. Le soutien turc à l'opposition syrienne a transformé une entente parfaite en un affrontement indirect. Ankara est embarrassé par les pressions internationales en faveur d'une intervention qui ruinerait sa réputation de neutralité et le placerait en conflit direct avec, notamment, l'Iran.

Le rapprochement de la Turquie avec l'Europe semble à l'arrêt. Le manque de progrès sur les 35 chapitres de négociation, aggravé par la décision turque d'interrompre tout dialogue avec Chypre lorsque celui-ci aura pris la présidence tournante de l'Union européenne (UE) en juillet, signale une véritable régression. Les railleries des hommes politiques turcs et la méfiance de certains Etats européens, à la tête desquels le président français, Nicolas Sarkozy, alimentent le malaise. Pour la Turquie, l'UE est hostile, dysfonctionnelle et empêtrée dans la crise de la zone euro. Bruxelles voit d'un mauvais oeil la persistance de violations des droits de l'homme en Turquie, les journalistes emprisonnés et l'absence de progrès sur le dossier kurde.

Pourtant, l'UE est une plate-forme fondamentale pour la Turquie. Elle fournit plus de la moitié de son commerce et représente les trois quarts des investissements étrangers directs.

Au lieu d'exiger de l'UE des droits qu'elle ne peut obtenir sans en être membre, la Turquie doit utiliser son influence régionale pour renouer avec l'Europe et coopérer sur le Moyen-Orient. De cette façon, Ankara obtiendrait des garanties solides, alors que la région connaît des difficultés, et regagnerait le respect qu'il mérite au sein de l'Europe. Surtout, cette coopération bénéficierait à toute la région.

Par Hugh Pope, directeur du projet Turquie/Chypre de l'International Crisis Group

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