L'heure des réalités a sonné pour l'Europe

Michel Barnier est tout sauf irresponsable. Il ne fait qu'exercer son métier de grand commis de l'Etat en proposant de doter l'Europe d'un dispositif de séparation des activités bancaires des activités de marché à l'instar de ce qui a été fait aux Etats-Unis (Volker Rule) ou est en voie de l'être au Royaume-Uni (Commission Vickers). Et ce afin de protéger l'ordre monétaire – le cœur de l'architecture de l'ordre social selon la formule de l'économiste Jacques Rueff (1896-1978) – des éventuels désordres financiers ce qui n'a pas du tout a été le cas, faut-il le rappeler, lors du déclenchement de la crise financière de 2008.

En effet, les acteurs de la sphère financière au sens large administrent deux catégories d'actifs : ceux de nature monétaire et ceux de nature non monétaire. Les actifs financiers de nature monétaire correspondent à des créances des agents économiques sur le système bancaire : banques commerciales et banques centrales.

MAINTIEN DE LA VALEUR

A ce titre, les actifs monétaires dotés du pouvoir libératoire, permettent à une communauté marchande de payer tout achat de produits et de régler toute dette. Cela est dû au maintien de la valeur, relative et absolue de ces actifs par l'appareil bancaire et à leur acceptabilité générale par les autres agents économiques, en particulier l'Etat qui accepte que les créances d'impôts soient réglées en monnaie.

En revanche, les actifs financiers de nature non monétaire ne disposent pas de ces prérogatives car leur valeur peut fluctuer à la baisse ou à la hausse en fonction de l'appréciation des marchés et dépend de l'équilibre entre l'offre et la demande des différentes contreparties d'une part, et de la volatilité des taux d'intérêt afférents à ces actifs, d'autre part .

Ces deux catégories d'actifs doivent être administrées par des acteurs différents. Il appartient aux banques de se dédier à la gestion des actifs monétaires du fait de leur responsabilité dans la collecte des dépôts dont elles ont le monopole, et de leur fonction de distributeurs de crédit aux termes desquels elles prêtent l'argent des autres, d'où leur contrôle permanent par les autorités. Aux non banques d'assurer la gestion des actifs non monétaires pour le compte de leur clientèle ou leur compte propre.

A la différence du banquier – qui prête l'argent des autres – le financier place ses propres deniers ou ceux de sa clientèle à leurs propres risques respectifs sur les marchés. D'où la volonté de séparer les activités de ces deux catégories d' acteurs qui doivent évidemment s'exercer dans des aires différentes. Aux banques les activités de monnaie et de crédit, aux non banques les activités de titres et de marchés.

C'est de cet amalgame dangereux des activités que naissent les crises. Avant-hier (1930) , où le bilan des banques était à l'actif employé en titres alors qu'à leur passif, leurs ressources provenaient exclusivement de dépôts. Hier (2007) leur passif provient de titres qui finançaient des crédits qui n'avaient pas encore été titrisés. Aussi, rien de plus naturel que d'essayer d'éviter une telle confusion qui s'est révélée si néfaste.

LA BANQUE UNIVERSELLE

D'ailleurs Michel Barnier pour proposer une salutaire séparation s'est appuyé sur le rapport Liikanen, gouverneur de la banque centrale de Finlande. Ce dernier s'était à son tour appuyé sur les réflexions d'une commission composée de personnalités qualifiées dont Louis Gallois.

Alors que Pierre Moscovici demandait à ses services d'élaborer seuls le projet de loi – qui semble parfaitement convenir à nos cinq grands groupes bancaires et financiers ! Chacun sait que leur finalité dans ce domaine est de perpétuer le soi-disant modèle de la banque universelle, en fait des banques de marché et de protéger les bonus des traders et les rémunérations indécentes des hauts dirigeants.

Ces activités n'intéressent en rien le financement de millions d'entreprises et de milliards d'hommes sur la planète qui ont besoin de banques dont les métiers traditionnels de collecteurs de dépôts et de distributeurs de crédit doivent être dédiés à la création de richesses et non pas à la financiarisation de la finance.

En effet, par le concept de banque universelle issu de la loi Delors de 1984 l'on entendait un établissement de crédit à vocation générale et par là susceptible d'effectuer toutes les opérations de banque qu'elles soient de collecte de dépôts de distribution de crédit ou de gestion des moyens de paiement. Celles qui n'étaient pas universelles se limitaient à exercer un type d'opérations déterminé par exemple les crédits à la consommation parmi toutes les opérations de crédit.

Aujourd'hui, par banque universelle on se réfère à l'appellation de banque de financement et d'investissement adossée aux activités de détail en interne ou par filialisation, en omettant de préciser que ces banques sont d'abord et surtout des banques de marché. Donc les banques universelles d'aujourd'hui sont en fait des banques mixtes.

D'où l'impérieuse nécessité de les séparer de leur havre d'accueil afin de protéger les dépôts c'est-à-dire la monnaie. Séparation ne signifiant point disparition, mais aux banques dites de marché devenue autonomes d'assumer en tant que telles leur développement (bilan) et leurs risques (exploitation).

LOI DITE DE SÉPARATION DES ACTIVITÉS

D'où la volonté de Pierre Moscovici qui n'est en rien un séparatiste, de donner le la et de fermer le ban afin de mettre nos partenaires devant le fait accompli en faisant voter dès le 26 juillet 2013 sa loi dite de séparation des activités.

Mais celle-ci est un simulacre puisqu'elle ne concerne que 1% des activités et apparait comme un leurre par rapport aux engagements du candidat François Hollande dans son discours du Bourget , alors que selon le rapport Liikanen le premier de nos établissements de crédit est doté d'un bilan supérieur à notre production intérieure brute (PIB) et est constitué à hauteur de 45% d'activités de marché ! Mais en s'opposant fortement au plan de l'éthique financière à Michel Barnier, Pierre Moscovici rejette aussi implicitement la tutelle européenne.

Si les propositions de Michel Barnier sont retenues, elles feront l'objet d'une directive – droit européen dérivé des traités - laquelle s'imposera à notre législation nationale par simple transposition et par là annihilera les dispositions de la loi du 26 juillet 2013.

Dans cette opposition Pierre Moscovici est soutenu par le gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer ce qui est d'autant plus paradoxal que l'un fut un prestigieux ministre des Affaires européennes sous le « quinquennat » de Lionel Jospin et l'autre un éminent vice-président du directoire de la banque centrale européenne (BCE).

Autrement dit ces deux européistes par essence apparaissent en l'espèce comme les alliés objectifs des euroréalistes ! D'où l'éclatante illustration que notre architecture européenne est bancale et que pour fonctionner en harmonie avec les Etats-nations, elle a besoin d'être remise à plat ainsi que le propose de son côté David Cameron pour que le Royaume-Uni demeure au sein de l'Union européenne.

Alors que l'heure de l'Europe des réalités a sonné il appartient au Président de la République de tourner la page et de favoriser l'éclosion d'un nouveau discours de Bayeux pour les institutions européennes. Ainsi la France retrouvera la maîtrise de son destin et l'Europe sera remise sur rails par sa rénovation.

Par Bruno Moschetto, economiste et professeur de sciences économiques à Paris-I.

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