L’histoire ne l’acquittera pas

Hommage à Castro, lundi à La Havane. Photo Enrique De La Osa. Reuters
Hommage à Castro, lundi à La Havane. Photo Enrique De La Osa. Reuters

Bon, il est arrivé ce qui aurait dû arriver autrement et depuis longtemps. Il aurait dû être jugé, condamné, ou, dans le cas le plus brutal, châtié à sa manière, comme il le fit pour tant de ses victimes et de ses propres mains : une balle dans la nuque ou pendu. Mais ça ne s’est pas passé comme ça. Fidel Castro est mort tranquillement dans son lit, à 90 ans, entouré par les siens. Ce qu’il n’a précisément pas permis aux milliers de fusillés, de disparus en mer dévorés par les requins dans le détroit de Floride en tentant de rejoindre les Etats-Unis, terre de liberté.

L’histoire ne l’acquittera pas, ce qu’il aurait le plus souhaité, pour reprendre ses propres paroles de 1953, durant cette pantomime de procès où on lui donna la possibilité de se défendre lui-même et où il plagia une phrase d’Adolf Hitler. L’histoire le condamnera, comme tous les tyrans qui ont infecté le monde. Oui, laissons du temps au temps. L’histoire le condamnera, en dépit de ces moments qui suivent sa mort, où j’observe avec tristesse comment tant de politiciens de pacotille et de médiocres de tous horizons se débondent en louanges et chants funèbres dédiés aux âneries commises sur le dos du peuple, âneries désormais reconverties en exploits, avec un tape-à-l’œil mélodramatique dont nul autre, en tout autre contexte, n’aurait pu bénéficier.

Nous vivons le roman typique du dictateur mort d’une mort trop attendue, du caudillo soldé peu à peu, lentement. Ses pleureuses bien entraînées tournent comme des mouches autour du cadavre, offrant le plus pathétique des spectacles. Mais ceci n’est rien, regardez ce qui a lieu à Cuba pendant ces neufs jours de deuil imposés aux Cubains, un mauvais théâtre de plus que mes compatriotes accepteront avec des larmes sur le visage et de la rumba dans l’âme, une rumba bien cachée tout au fond des cœurs, et aussi dans les recoins de leurs consciences.

Oui, rappelez-vous cet extraordinaire roman d’Augusto Roa Bastos, Moi, le Suprême, ou l’Automne du patriarche de Gabriel García Márquez, ou la Fête au Bouc de Mario Vargas Llosa, dans ces pages nous avons lu l’anticipation magistrale ce que nous, Cubains en exil, dont je fais partie, contemplons aujourd’hui, agités par des sentiments contradictoires.

Je le sais, écrire et donner mon avis en tant que Cubaine, exilée, écrivain interdit, victime, n’aura pas grande importance. Fidel Castro a été et reste le tyran de prédilection pour beaucoup, toujours et bien à distance, pour ceux qui n’ont pas eu à en supporter les conséquences, à assister ou à être la cible de ses crises et de ses actes délirants, qui ont conduit une île prospère à la ruine et au désastre humain.

Nous devons cependant, nous Cubains, continuer ce combat pour la liberté de Cuba. Mort le tyran numéro 1, reste le tyranneau numéro 2. La dictature existe et persiste. Raúl Castro, l’héritier trié sur le volet par son frère, aussi sanguinaire que lui, fait et défait les choses à sa guise. Nous sommes face à un tyranneau également très vieux, et très malveillant, qui, après avoir détruit le pays en y imposant le communisme à sa façon et en saturant l’île de Soviétiques pendant trente ans, après avoir volé le pétrole et l’or des Vénézuéliens, prétend bâtir un capitalisme maison pour le plus grand bien de ses descendants (enfants et petits-enfants ayant tous étudié à l’étranger), avec le consentement des Etats-Unis ; autrement dit, prétend imposer un capitalisme sauvage et de croisière pour Américains avec danses, tambours et maracas, mais toujours avec la même faim et la même répression pour le peuple.

Non, le combat des Cubains pour la liberté et pour la démocratie n’est pas fini. Bien sûr, Castro II va mourir aussi. Ses fils et petits-fils tenteront de gouverner - comme je l’ai déjà dit - et les militaires de haut rang se battront pour avoir leur part du gâteau, car il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’une dictature militaire, mais nous, les Cubains, nous continuerons à réclamer ce que nous méritons depuis longtemps : être les maîtres de nos destins, empêcher qu’on nous considère encore et toujours comme des esclaves, et pouvoir choisir nos dirigeants selon un système démocratique qui nous conduira à la liberté, à la paix et à une vie normale.

 Zoé Valdés, ecrivaine. Dernier livre paru : La Havane, mon amour (aux éditions Arthaud, 2016). Traduit par Philippe Lançon.

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