« L'homme ordinaire », un nouveau parti

Les élections indiennes ont été marquées par l'apparition d'un nouvel acteur, l'Aam Aadmi Party (AAP, Parti de l'homme ordinaire), dont l'ascension est spectaculaire. Cette formation, créée en novembre 2012, s'est en effet imposée au centre du jeu politique en quelques mois seulement. AAP a même réussi à prendre la tête du gouvernement de l'Etat de New Delhi en décembre 2013 alors qu'il n'avait encore jamais disputé d'élection.

Parti de l'homme ordinaireCe parti est le fruit d'un mouvement de société. Son leader, Arvind Kejriwal, était le bras droit du vétéran gandhien Anna Hazare, qui a animé les grandes manifestations anticorruption de 2011. Il a aussi profité de la mobilisation contre le viol et le meurtre d'une jeune étudiante à New Delhi en 2012. Dans les deux cas, la classe moyenne urbaine était descendue dans la rue, faisant preuve d'une conscience politique nouvelle, elle qu'on disait portée à l'abstentionnisme. AAP bénéficie aujourd'hui de cette repolitisation des élites et dispute leur soutien au Parti du peuple indien (BJP).

ATTACHÉ AU « SÉCULARISME »

Profitant de l'aphonie relative d'un Congrès en mal de leader, Arvind Kejriwal est même devenu l'un des principaux opposants à Narendra Modi ; au point de se présenter contre lui à Bénarès, la capitale de l'hindouisme, où l'homme fort du BJP a voulu être candidat pour asseoir son statut de leader (ethno-) national. Cela permet à AAP de rivaliser avec le BJP et le Congrès à la « une » des journaux – car si les patrons de presse souhaitent ménager Modi, AAP a les faveurs de journalistes qui, en cas de victoire du BJP, craignent pour leur liberté d'expression.

AAP incarne une culture politique au carrefour de l'héritage gandhien et de la tradition socialiste, attachée à la démocratie et au « sécularisme » (la laïcité à l'indienne). Les hérauts de ce répertoire politique sont toutefois surtout à l'aise dans l'opposition. Kejriwal a d'ailleurs démissionné quarante-neuf jours après avoir été nommé à la tête du gouvernement de New Delhi. Mais il a alors jeté l'éponge pour une bonne raison : il n'avait pas la majorité pour faire passer une loi créant le poste de lokpal (« médiateur ») qui lui tenait à coeur pour lutter contre la corruption. A noter que si le Congrès et le BJP ont refusé de voter une telle loi, c'est en grande partie parce que Kejriwal avait commencé à s'attaquer au groupe Reliance, qu'il accusait de vendre le gaz aux habitants de Delhi à un prix prohibitif – or ni le Congrès ni le BJP ne souhaitaient s'aliéner le premier conglomérat du pays. C'est sans doute là qu'est l'avenir du AAP : même si le parti ne remporte aucun siège, il restera bien placé pour incarner la lutte contre l'« establishment » et la collusion entre les milieux politiques et d'affaires.

Christophe Jaffrelot, chercheur au Centre d'études et de recherches internationales (CERI, Scienes PO/CNRS).

Deja una respuesta

Tu dirección de correo electrónico no será publicada. Los campos obligatorios están marcados con *