Libye : embrouilles opérationnelles et paralysie européenne

Une semaine après l'autorisation donnée par Conseil de sécurité d'intervenir militairement en Libye, l'interprétation de la résolution 1973 fait encore débat et la situation sur le terrain reste confuse. Mais, surtout, la question du commandement opérationnel souligne les dissensions entre membres de la coalition. La mise en place d'une structure pérenne de planification des opérations s'avère en effet complexe.

Les Etats-Unis ne souhaitent en effet pas exercer de leadership trop visible en Libye. On peut voir dans cette prudence, outre un gage donné à un Pentagone initialement réticent à ouvrir un autre front, la première application de la doctrine d'intervention extérieure américaine définie en mai dernier par le président Obama à travers la publication du document de Stratégie de sécurité nationale. En rupture avec l'orientation unilatérale de l'administration précédente, elle affirme que la préservation de la sécurité américaine ne pourra être préservée qu'à travers l'action collective. Dans le nouvel ordre qui se développe, les Etats-Unis se fixent désormais comme objectif prioritaire de construire des partenariats avec les puissances émergentes. Si l'on rajoute les critiques permanentes du Congrès et la volonté d'Obama de se recentrer sur des enjeux de politique intérieure à l'approche de la campagne présidentielle, on comprend la volonté des Etats-Unis de passer la main le plus rapidement possible en Libye.

Pourtant, Français et Britanniques ne pourront assumer seuls le commandement à long terme des opérations. Ils auront besoin d'élargir leur base politique, donc d'intégrer d'autres alliés dans le commandement des opérations. Mais cette intégration nationale se heurte à des résistances, tant techniques que politiques : beaucoup de ces alliés, qui ont mutualisé leurs structures de planifications dans l'OTAN, n'ont plus de moyens nationaux propres de conduite opérationnelle. Ce qui les amène à conditionner leur participation à l'implication des structures de commandement intégré de l'OTAN.

Or, l'implication trop forte de l'Organisation soulève d'autres objections. Les Turcs sont très réticents, refusant le choix des cibles à bombarder et craignant que les objectifs politiques peu clairs de l'intervention ne conduisent à des dérives. Les Français souhaitaient également freiner une implication trop marquée de l'OTAN qui risquerait de rappeler, auprès des populations arabes, l'interventionnisme occidental en Irak et en Afghanistan. Cette connotation occidentaliste de l'Organisation ne peut évidemment qu'être renforcée par l'emploi de termes aussi chargés que "croisade" par nos autorités… Des coopérations renforcées pour l'Europe de la défense
Après de difficiles discussions, il a finalement été accepté de confier à l'OTAN la gestion de la zone d'exclusion aérienne et le respect de l'embargo. La mission de protection des populations civiles, en revanche, impliquant des bombardements au sol, reste pour le moment sous commandement de la coalition. Les discussions devraient reprendre dans les jours à venir pour aboutir à un transfert complet du commandement. Mais à qui ?

On redécouvre là les conséquences de l'intégration dans l'OTAN et des réticences à bâtir l'Europe de la défense : la mutualisation des structures militaires de nombreux pays européens au sein de l'Alliance les prive de capacité d'action autonome, et des moyens strictement européens de substitution n'existent pas. Lorsque l'OTAN est bloquée par des divergences politiques, et faute d'alternative européenne, la conduite coordonnée d'opérations et la construction d'une coalition s'avère bien délicate. La crise libyenne, à bien des égards, révèle les failles béantes de l'Europe de la défense.

Reste qu'une telle opération ne pourra rester longtemps sans structure de pilotage bien définie. Les Européens ne semblent pas prêts à désigner une "nation-cadre" qui prendrait le commandement et coordonnerait les opérations. A 27 (UE) comme à 28 (OTAN), les blocages sont patents. La France se doit donc de proposer une structure ad hoc. Elle pourrait prendre la forme d'un Groupe de contact ou d'un Comité de coalition constitué autour de la France et du Royaume-Uni, qui serait le garant du respect du mandat de la résolution vis-à-vis de l'ONU.

La possibilité d'établir des coopérations renforcées existe, utilisons-la pour trouver une telle solution de planification multiple.?A condition que celle-ci ne se résume pas, comme cela a trop souvent été le cas ces derniers temps, à un couple franco-britannique qui fasse cavalier seul et nous prive finalement du soutien européen.

Alors que le président Obama, dans un discours lors de la Convention nationale démocrate le 28 août 2008 intitulé La promesse américaine, déclarait vouloir reconstruire la politique étrangère américaine, après la période Bush "qui a dilapidé l'héritage que des générations d'Américains – démocrates et républicains – avaient bâti", il est urgent que les Européens s'organisent et travaillent eux aussi, dans le domaine de la défense,  bâtir "la promesse européenne".

Groupe Orion, Fondation Jean-Jaurès.


Pour lire l'intégralité de la note, rendez-vous sur le site de la Fondation Jean-Jaurès

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