Libye : une résolution sortie de la boîte de Pandore

L'Organisation des nations unies (ONU) et son Conseil de sécurité ont fini, tardivement, par s'accorder sur la nécessité d'une résolution pour tenter de régler la "crise libyenne". Toutefois, à la lecture du texte de la résolution 1973, adoptée le 17 mars au soir, à New York, on ne peut manquer d'être préoccupé notamment par les termes choisis dans le préambule, lesquels ne sont rien moins qu'une attaque ad hominem révèlant les arrière-pensées. La France en acceptant ce préambule a commis une première faute.

Tout d'abord, les événements libyens ne sont en rien "comparables à ceux qui ont touché la Tunisie, puis l'Egypte, puis le Yémen, puis Bahreïn, puis la Jordanie et depuis peu la Syrie.

Une différence de nature et de parfum : en Libye, l'odeur de la poudre a vite remplacé le parfum du jasmin et la "révolte populaire" s'est vite transformée en "insurrection armée". Dans les autres pays "la société civile" revendiquait des droits contre des gouvernants lesquels ont répondu – et certains continuent de le faire sans susciter de réprobation – par des tirs à balles réelles sur des foules non armées. Une mention spéciale doit être faite de Bahreïn, qui a sollicité en outre et obtenu de l'Arabie saoudite un soutien militaire pour réprimer et "tirer" sur les manifestants, sans la moindre protestation du Conseil de sécurité.

En revanche, en Libye, les événements ont rapidement "viré" aux prémices d'une guerre civile ; ainsi on parlait de villes "tombées" sous la pression et les avancées des insurgés de Benghazi. Ce que le Conseil de sécurité a reconnu puisque la première exigence de la résolution est celle "d'un cessez-le-feu immédiat", terminologie précise que l'on oppose à deux parties en conflit armé.

Dans ces conditions, pourquoi le préambule de cette même résolution vise-t-il "la violation flagrante et systématique des droits de l'homme y compris les détentions arbitraires, disparitions forcées, tortures et exécutions sommaires, (…) les actes de violence et d'intimidation que les autorités libyennes commettent contre les journalistes, (…) les attaques généralisées et systématiques actuellement commises contre la population civile (qui) peuvent constituer des crimes contre l'humanité" ? A notre connaissance à l'occasion des événements actuels, nulle torture, nulle disparition de civils ou violence contre des journalistes n'ont été particulièrement rapportées. Concernant les violences contre des journalistes, la résolution évoque des faits anciens en rappelant une résolution 1738 datant de 2006.

Cette résolution signe ainsi la préméditation de l'assaut destiné, en réalité, à s'en prendre directement aux autorités libyennes et à renverser le pouvoir actuel. Jusqu'à l'alibi des "populations civiles" qui devient sujet à caution s'agissant d'insurgés civils armés qui, dans tous les conflits, sont considérés de fait et de droit international comme des "combattants".

Enfin, pourquoi avoir engagé des attaques aériennes ou par missiles bien au-delà des "lignes de front" entre les deux camps sans avoir exigé préalablement des "insurgés" – auprès desquels la France avait déjà décidé d'installer un ambassadeur – un engagement de cessez-le-feu ? La France en assurant la co-direction des opérations militaires actuelles – plus proches de représailles que d'interposition – vient de prendre une lourde responsabilité face aux opinions publiques arabes. La passation du commandement désormais à l'état-major de l'OTAN ne change rien au dépassement du mandat contenu dans la résolution.

Aujourd'hui, c'est la Ligue arabe, qui il y a peu de temps avait sollicité l'intervention de l'ONU, qui proteste contre la dénaturation de la résolution, qui s'indigne contre ce qui ressemble plus à une chasse à l'homme qu'à un "désarmement" bi-latéral des deux camps en conflit. Pis encore, aujourd'hui les bombardements "onusiens" ne visent pas à contenir " la repression des autorités libyennes contre les populations civiles" mais à ouvrir, comme une avant-garde, la route aux insurgés armés et mal commandés. Cette intervention tourne à l'acte de guerre.

Notre pays, qui avait piteusement raté son entrée sur la scène tunisienne du "printemps arabe", aurait-il perdu définitivement le sens de la mesure mais surtout celui des responsabilités ? Ce serait une deuxième faute, inexcusable celle-là.

Cette résolution 1973 semble avoir été sortie d'une boîte de Pandore, transformant les "pompiers" de l'ONU en pyromanes. Il faut exiger des "représentants" des insurgés un engagement écrit de cessez-le-feu opposable aux autorités libyennes. Sous l'égide de la Ligue arabe, il convient d'établir un plan de sortie de crise en garantissant aux deux camps la sécurité par le maintien sur zone mais hors du territoire libyen des moyens d'intervention contre l'un ou l'autre qui viendrait à ne pas respecter le cessez-le-feu. La suspicion latente des opinions arabes contre le "camp occidental" – au nom de connivences passées et des complaisances actuelles – ne doit pas germer pour muter en ressentiment. Le Quai d'Orsay doit reprendre – de toute urgence et autorité – la main s'il ne veut pas y laisser un deuxième bras après celui sérieusement abimé en Tunisie.

Germain Latour, avocat.

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