L’illusion du «Null Covid»

Une manifestation contre les restrictions liées à la pandémie, le 28 janvier à Berlin. (Christoph Soeder/dpa Picture-Alliance via AFP)
Une manifestation contre les restrictions liées à la pandémie, le 28 janvier à Berlin. (Christoph Soeder/dpa Picture-Alliance via AFP)

En janvier, un collectif de scientifiques et d’universitaires allemands a proposé une stratégie baptisée «NoCovid» plus radicale que celle qui se fixe comme seul objectif d’«aplatir la courbe». L’Allemagne n’a jamais pratiqué le confinement à la française, avec ses attestations et le port obligatoire du masque en pleine rue. Les partisans du «No Covid» ne veulent pas non plus faire de la police le centre du dispositif, mais ils préconisent un confinement beaucoup plus drastique, un traçage efficace des contaminés et une mise à l’arrêt de l’industrie qui ne finiront que lorsque la maladie aura cessé d’être dangereuse.

Cette stratégie a sa logique qui, plutôt que d’alterner entre restrictions et relâchements, consiste à concentrer les souffrances sur un laps de temps défini afin de reprendre les choses où elles en étaient avant la crise. Loin d’être révolutionnaire, elle s’inspire explicitement de la politique menée en Australie ou dans certains pays asiatiques. Parmi ces derniers, les partisans du No Covid ne citent pas la Chine. Cet exemple aurait pourtant montré que les mesures autoritaires «provisoires» ont tendance à s’inscrire dans la durée et que la mise entre parenthèses des droits n’est pas le meilleur moyen de restaurer la liberté.

Ce soupçon ne semble pas non plus avoir effleuré les partisans du Null Covid («Zéro Covid»), un mouvement issu de la gauche radicale allemande qui se distingue de ses alter ego libéraux par le fait qu’il veut faire de la lutte contre le virus la preuve que le capitalisme peut être suspendu. Ici, l’objectif de la mise sous cloche de la société est double : se débarrasser définitivement du virus et modifier les rapports sociaux dans un sens égalitaire.

Cette stratégie repose sur l’axiome selon lequel «null, c’est null» : il ne faut pas seulement limiter les interactions entre les individus, mais arrêter le système de production dans son ensemble. Pourquoi sauver l’économie alors que tant de droits (à l’éducation, au mouvement, etc.) sont mis à mal ? Null Covid préconise un «confinement solidaire» où la collectivité prendra la relève d’un système social dont l’épidémie a démontré l’injustice foncière. Il faut tout fermer, mais pas pour que les choses reviennent à la normale. Plutôt pour apporter la preuve que cette normalité (capitaliste) est la véritable maladie.

Pour une fois, l’Allemagne est en retard. Les défenseurs du Null Covid découvrent aujourd’hui les utopies du «monde d’après» qui faisaient florès il y a un an dans une France touchée de plein fouet par la première vague. Si on peut comprendre le désir d’en finir rapidement avec le virus, la confiance dans le contrôle social de l’épidémie (pour vaincre un virus, il suffit de le vouloir) mérite d’être interrogée, surtout quand elle émane de la gauche. On n’est jamais sûr de retrouver à la fin les libertés abandonnées au début. Encore moins d’être en état, après un tel traitement de choc, d’en conquérir de nouvelles.

La gauche du Null relance aussi l’illusion selon laquelle une épidémie pourrait occasionner un bien. Des penseurs marxistes (à commencer par Engels) ont fait l’hypothèse d’une «dialectique de la nature». Mais ils n’ont jamais envisagé qu’une maladie puisse être à l’origine d’un progrès social. Ni qu’elle ait le pouvoir de renverser un capitalisme résiliant à tant de révolutions. Plutôt que de rêver d’une société sans économie, la gauche devrait envisager une autre économie, plus juste mais aussi moins vulnérable à la globalisation des virus. Elle pourrait aussi miser sur des désirs de liberté et de fêtes qui n’attendent pas que la catastrophe accouche miraculeusement d’un avenir radieux.

Par Michaël Foessel, professeur de philosophie à l’Ecole polytechnique.

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