L’immigration, une chance contre le terrorisme

Depuis les attentats de janvier, la part belle est faite aux explications et reportages sur les musulmans et le lien entre l’immigration et le terrorisme tourne en boucle dans les médias. Or, ce sont de jeunes Français endoctrinés ici qui ont commis ces attentats. Produits d’une idéologie fascisante comme de trente ans de politiques de relégation, ils ne sont pas venus d’ailleurs, mais «ce sont nos fils qui ont tué nos frères», et c’est un migrant malien qui a sauvé d’autres frères.

Lassana Bathily, comme tous ceux qui sont venus de la région de Kayes au Mali, a été bercé par un islam malékite, tolérant et perméable à toutes les formes religieuses et sociales depuis des siècles. Coexistant avec les catholiques, les marabouts sanctifiés, les athées et les animistes, c’est cet islam qui est en passe d’être vaincu ici comme au Sahel, que ce soit au Mali, au Burkina Faso, ou au Niger. Partie intégrante de la culture des migrants en Ile-de-France, il est menacé des deux côtés de la Méditerranée, et avec lui la plasticité sociale et spirituelle du Mali. En France, cet islam a de moins en moins voix au chapitre, laissant les jeunes générations sans mémoire, sans culture, sans véritable savoir de leur histoire spirituelle.

Pour contrer cette menace, il faut avoir une politique ambitieuse au croisement des politiques culturelles, de la ville, des affaires étrangères et de l’immigration. Les associations de migrants, conscientes de l’importance de la transmission de la culture pour contrer l’acculturation et l’endoctrinement des afro-descendants, se heurtent depuis des années à l’indifférence des pouvoirs publics ; reléguées du côté du «folklore» ou du «communautaire» par les institutions culturelles, confinées dans des salles ou sous-sols indignes pour leurs activités, ces associations sont le meilleur rempart contre l’acculturation et le repli sur soi, qui laissent toujours le champ libre aux recruteurs. Associations de ressortissants ancrées ici comme au Mali, elles sont porteuses de valeurs qui concrétisent la République qui les accueille (même si le mot est encore un peu fort). Elles luttent contre la tentation du repli, pour la dignité des travailleurs, pour préserver la diversité culturelle et religieuse dans les foyers, les mosquées, comme dans les villages du Mali. Modèles d’organisation démocratique, elles sont une chance contre le terrorisme, ici comme au Sahel. Là-bas, parce que leur pouvoir économique leur permet de résister aux tentatives de fermeture culturelle et religieuse. Ici, parce qu’elles encadrent et connaissent depuis quarante ans les néo-arrivants et leurs familles. Désireuses de s’impliquer sur les questions d’excision, de polygamie, de mariage forcé, elles sont aussi les meilleures alliées pour faire avancer la cause des femmes.

En soutenant l’immigration légale, en ayant une vision stratégique de la délivrance des visas et non une politique humiliante qui laisse la Méditerranée être un cimetière pour des centaines de Maliens, en soutenant la préparation à la migration, en reconnaissant la dignité culturelle des migrants, en favorisant l’appropriation d’une partie de leur histoire par les jeunes générations, les pouvoirs publics trouveraient dans ces associations des alliés contre le terrorisme.

C’est au ministère de l’Intérieur en charge de l’immigration, principal financeur du musée de l’Histoire de l’immigration, de mettre en cohérence une politique de délivrance des visas avec le soutien à la visibilité des cultures des migrants et la lutte contre la radicalisation. L’adhésion à la République ne se fait pas par l’effacement de la mémoire qui suscite plutôt le terrorisme. La laïcité ne se construit pas sur fond d’amnésie collective.

Concernant les politiques culturelles, plutôt que d’évoquer des «zones blanches de la culture», il est temps de découvrir que ces zones sont riches de milles cultures, savantes et populaires, d’artistes inconnus parce qu’obligés d’être vigiles. Il est temps de faire entrer ces cultures dans nos institutions en reconnaissant leur dignité artistique. Par ailleurs, il est temps pour la France de réorienter sa diplomatie culturelle là où elle est nécessaire et de cesser de vouloir courir après les marchés émergents. L’Institut français, l’Agence française du développement, le ministère des Affaires étrangères doivent pouvoir coordonner leurs objectifs et moyens afin de regagner le terrain perdu en Afrique subsaharienne, pour que le Sahel ne redevienne pas simplement la route de la drogue, du jihadisme et de la traite d’êtres humains.

Au Sahel, où il existe désormais des écoles primaires François-Hollande et des chansons de louanges au «président François», la mobilisation de fonds de sortie de crise, le retour des entreprises françaises en toute transparence doivent être complétés par un retour de moyens culturels exceptionnels. Quand les taux de scolarisation sont en baisse, que la reconstruction des mausolées de Tombouctou est contestée par certains extrémistes de l’intérieur, que le festival de Ségou est taxé de lieu de débauche par des fatwas, la France ne doit pas être absente du redéploiement culturel d’après-guerre.

Les Maliens d’ici, leurs enfants, seront aux côtés de ceux qui luttent pour la préservation de ce pour quoi ils sacrifient leur vie en quittant leur pays. Aux côtés de ceux qui luttent ici contre tout ce qui les obligerait au repli sur soi, contre tous les discours de séparation, qui font des extrêmes religieux et politiques des alliés objectifs contre la République.

Sébastien Lagrave, directeur du festival Africolor

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