L’impact sanitaire du changement climatique menace d’annuler les progrès du XXe siècle

En 1861, le physicien irlandais John Tyndall montrait que les émissions de CO2 d’origine humaine piégeraient l’énergie solaire dans l’atmosphère, ce qui élèverait la température. Il décrivait l’effet de serre. Depuis, la science climatique a largement confirmé cette prédiction. Les données récentes indiquent que le réchauffement mondial se concrétise plus vite que prévu. Les conséquences qui avaient été anticipées procèdent maintenant de l’observation quotidienne : températures plus élevées mais aussi montée des océans et phénomènes extrêmes, à savoir des sécheresses et incendies, des précipitations massives et inondations. Les effets de cette dégradation du climat sur la santé humaine relèvent de la même évidence mais sont gravement sous-médiatisés.

Les canicules créent un stress thermique qui augmente les décès cardio-vasculaires et par accident cérébral, ainsi que la morbidité respiratoire par pollution à l’ozone. L’élévation moyenne de la température – hors canicules – augmente aussi le risque d’asthme et d’allergies, dont la fréquence a plus que doublé en vingt ans.

Plusieurs maladies microbiennes, encore appelées tropicales mais peut-être pas pour longtemps, vont nous affecter. Il peut s’agir de maladies vectorielles, c’est-à-dire véhiculées par des insectes, comme la maladie de Lyme, le chikungunya ou même la dengue. Ou de pathologies liées à l’eau (choléra) ou à l’alimentation (salmonelles) car la sécurité alimentaire sera touchée. Rappelons aussi que la chaleur augmente le risque d’antibiorésistance, qui est une question déjà critique. On pourrait rajouter les retombées psychologiques, avérées à la suite d’événements extrêmes, ainsi que le risque de disruption sociale liée aux tensions, aux migrations voire aux conflits.

Ceci ne représente que ce que nous connaissons car il y a ce que nous ne savons pas, les fameuses « inconnues inconnues ». Plusieurs experts estiment que de nouveaux risques émergeront, correspondant à des maladies que nous ne saurons pas traiter. L’énormité du problème le rend littéralement existentiel. Compte tenu de l’inertie du système climatique – quoi que nous fassions, la météo et le climat vont continuer de changer pendant plusieurs décennies –, l’impact sanitaire est déjà partiellement inévitable et irréparable. Il menace d’annuler et surtout d’inverser les progrès du XXe siècle qui se traduisent notamment dans l’allongement de l’espérance de vie. Aujourd’hui la Banque mondiale quantifie à 7 millions les décès annuels prématurés dus à la pollution, laquelle est très liée aux émissions. Les estimations à 2030 y ajoutent au minimum 500 000 morts climatiques par an.

Sensibiliser l’opinion

Tout le monde ne semble pourtant pas s’en inquiéter. Bien que plus personne ne s’assume climatosceptique, il existe encore des gens qui veulent nuancer la gravité des faits. Comme ils ne peuvent plus dire « non », ils disent « oui mais » ou « c’est plus compliqué ». Leurs arguments sont subtilement faux mais hélas entendus. Cette mésinformation n’est pas moins dommageable que celle des climatosceptiques de première génération car elle conduit in fine à nier les mesures nécessaires pour limiter la crise : la baisse drastique des émissions. Nous devons maigrir et on ne peut pas maigrir en mangeant plus. Ceux qui s’alarment d’une insupportable régression doivent savoir que sans action majeure, la régression sera autrement plus brutale car on ne peut pas négocier avec les lois de la physique. Ceux qui dénoncent une atteinte aux libertés doivent comprendre que nous serons au contraire oppressés par notre vulnérabilité.

Les systèmes de soins se découvrent trois nouvelles obligations. La première concerne l’adaptation au changement. Une partie de celui-ci étant inéluctable, il faut se préparer aux maladies climatosensibles qui s’ajouteront aux problèmes existants. Les dispositifs de veille, de réaction et même les bâtiments vont devoir s’ajuster à ce nouveau contexte, pour ne citer que quelques exemples.

La seconde est la sensibilisation de l’opinion. Les enquêtes récentes suggèrent qu’elle augmente. Comme médecins, nous devons nous exprimer et dire que nous avons peur. Que la santé humaine est une priorité qui l’emporte sur toutes les autres, et faire campagne pour toute législation qui peut la protéger car la cause est apolitique.

Troisièmement, nous devons reconnaître que nous sommes nous aussi une partie du problème. Les systèmes de soins sont des émetteurs notoires de CO2, entre 4 % et 10 % des émissions nationales selon les pays. Les hôpitaux et les industriels de la pharmacie sont de loin les plus gros émetteurs. Des exemples étrangers montrent sans ambiguïté qu’il est possible de réduire ces émissions d’au moins 30 %, sans altérer la qualité des soins et tout en faisant des économies. Cet indicateur devrait être élevé au même niveau d’importance que la qualité ou l’efficience.

Rappelons enfin qu’il existe des bénéfices sanitaires immédiats à baisser les émissions de CO2 : amélioration de la qualité de l’air, diminution des accidents, activité physique, alimentation plus saine. Il n’y a aucune révélation ici. Tous les rapports du GIEC sauf un contiennent un chapitre sur la santé humaine. Il est maintenant suffisamment clair que nous n’avons pas le choix. Si nous n’en faisons pas assez, nous pouvons promettre à nos enfants qu’ils vivront plus durement et moins longtemps.

Jean-David Zeitoun est docteur en médecine, docteur en épidémiologie clinique, et entrepreneur.

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