L'impossible IVG en Argentine ?

Manifestation pro-IVG devant l'ambassade argentine à Quito, mercredi. Photo Rodrigo Buendia. AFP
Manifestation pro-IVG devant l'ambassade argentine à Quito, mercredi. Photo Rodrigo Buendia. AFP

Concurrentes sur le plan théologique, ennemies jurées sur le terrain pour récupérer la foi populaire, l’Eglise catholique et les sectes évangéliques se sont associées pour entraver l’adoption cette semaine de la loi sur l’IVG en Argentine. Le 20 novembre 2016, le pape François, lors du Jubilée de la miséricorde, avait concédé à tous les prêtres la faculté d’absoudre les femmes ayant commis le péché d’avortement. Cela ne l’a pas empêché, en juin 2018, deux jours après l’adoption de la loi IVG par la chambre des députés argentins, de durcir sa position de manière spectaculaire. Il est allé jusqu’à comparer l’IVG à un homicide d’enfants, ajoutant de surcroît que «tout le monde trouve scandaleux ce que les nazis on fait au nom de la pureté de la race alors qu’aujourd’hui on fait la même chose mais avec des gants blancs». Ses mots ont constitué une véritable incitation à la haine envers les personnes engagées dans la lutte pour l’IVG, en particulier contre les sénateurs s’étant prononcés en faveur du projet de loi adopté à l’Assemblée. Plusieurs d’entre eux furent victimes de menaces de mort, de graffitis dans les murs de leurs domiciles, de lettres d’injures…

Répondant à leur électorat provincial et conservateur, les sénateurs qui ont voté contre le projet de loi, l’ont fait en dépit d’une opinion publique majoritairement favorable à l’IVG. Chaque province dispose de trois représentants quel que soit son poids démographique alors que la province de Buenos Aires, la capitale et la banlieue y sont sous représentées (elles constituent plus du tiers de la population du pays).

Panique morale

Le combat livré par l’Eglise catholique et les sectes évangéliques était hautement symbolique : maintenir formellement la pénalisation. En réalité, l’interruption médicale de grossesse existe en Argentine depuis 1921, tout comme l’IVG en cas de viol de la femme. A chaque coup d’État, tout au long du XXe siècle, les militaires ont essayé de durcir les causes de dépénalisation. Avec le retour de la démocratie, l’Argentine reconnaît en 1984 l’autorité de la Cour interaméricaine des droits de l’homme qui considère qu’en cas de conflit entre la vie de l’embryon et la volonté de la mère, c’est cette dernière qui prévaut. Aussi, la Cour suprême nationale avait statué en 2012 que les médecins ne devaient pas solliciter une autorisation judiciaire pour pratiquer une IVG pour viol, la parole de la victime suffit.

La panique morale provoquée dans une partie de la population par le projet de loi est d’autant plus surprenante que la pratique de l’IVG clandestine existe depuis longtemps dans le pays. Très rarement un médecin fut condamné pour cette infraction. Les femmes de la bourgeoisie des grandes villes de l’Argentine ont toujours eu accès à l’IVG chirurgicale dans de très bonnes conditions sanitaires dans des cliniques privées moyennant 1 000 dollars environ. Ce sont souvent les mêmes qui ont manifesté contre le projet de loi puisque, comme le rappelait un grand médecin argentin, le docteur René Favaloro : «Les riches défendent l’avortement illégal pour le maintenir dans le secret et éviter ainsi la honte. Je suis fatigué de voir mourir les gamines pauvres pour que les dames puissent avorter dans l’ombre. Dans les bidonvilles, les filles crèvent pendant que les cliniques des quartiers élégants font fortune en enlevant du ventre la honte à celles qui ont de l’argent…»

Présenté comme un problème de philosophie morale par les sénateurs opposés à l’IVG, celle-ci constitue une question de santé publique. En Argentine, meurent uniquement les femmes pauvres et isolées. S’il n’existe pas de chiffres officiels, le ministre de la Santé a affirmé que les avortements clandestins constituent la première cause de mortalité maternelle. En Argentine sont pratiquées deux fois plus d’IVG qu’en France alors que sa population est de 44 millions d’habitants. La vente des produits abortifs comme le misoprostol ou la mifepristona est interdite, ce qui alimente un marché clandestin.

Mobilisations féministes

Le Sénat a voté mercredi contre le projet approuvé par l’Assemblée sans proposer d’alternative et pourtant plusieurs autres solutions circulaient dans la chambre haute, comme par exemple, la réduction du délai légal de 14 à 12 semaines, l’objection de conscience «institutionnelle» pour que les cliniques catholiques ne soient pas obligées d’appliquer la loi, la création d’un fond fédéral pour octroyer des allocations aux femmes sans ressources souhaitant poursuivre leurs grossesses ou encore une aide financière aux provinces les plus pauvres afin qu’elles puissent faire face à l’IVG.

Si les mobilisations féministes n’ont pas gagné la bataille symbolique, elles ont obtenu d’ores et déjà un certain nombre de concessions importantes : le président de la République, Mauricio Macri, a promis la présentation, le 21 août, d’un projet de loi pour enlever du code pénal la sanction contre les femmes qui avortent (de quatre ans de prison aujourd’hui), tout en maintenant celle contre les médecins et autres personnes qui pratiquent l’IVG de manière clandestine. Plusieurs ministres des différentes provinces du pays ont déjà proposé l’autorisation de la vente du misoprostol et exigent désormais la mise en place de politiques d’éducation sexuelle prévues depuis douze ans par une loi fédérale mais qui n’est pas appliquée dans certaines régions conservatrices. Le député Daniel Lipovetzky vient d’annoncer l’organisation d’une consultation populaire contraignante (une sorte de référendum prévue par la constitution) pour contrer le vote négatif du Sénat. Surtout, le débat sur l’IVG a permis de mettre en évidence l’hypocrisie sociale et de rompre le silence mettant à jour une mobilisation féministe renouvelée et vigoureuse qui comptera, à ne pas en douter, dans les élections présidentielle et législative de l’année prochaine.

Daniel Borrillo, juriste

1 comentario


  1. La société argentine est une société plus chrétienne et donc par voie de conséquence, l’Église a son mot à dire dans tout ce qui est mariage,le droit du fœtus,divorce,...qui se résume par ''tout ce que dieu a fait unir par l’Église,personne ne peut les séparer'' . Les députés au parlement argentin ne sont qu'un reflet de la société et donc je pense que le vote est juste et la société argentine est heureuse de ce vote.

    Il est vrai, d'un côté le camp des laïques se développe de plus en plus. Le côté juridique est le contre courant des préceptes de l’Église. Ce qui me semble un point encore obscur car ces deux extensions politiques;une nationale et, une autre régionale et internationale sont deux faces d'une même monnaie. Car,pour faire court, les citoyens ne sont que rarement intéressés par ce qui se passe dans les pays voisins ; ils veulent vivre selon leur rythme et leur conviction et en fin de compte, ils sont contre tout avortement et quelle que soit la ou les raisons ! Et puis, il y a les autres couches de la société , dites classe moyenne et classe riche qui voient plus vers l'international et par voie de conséquence, ces citoyens sont pour l'avortement car la plupart ''à mettre entre les pincettes'' contestent même un certain autoritarisme de l’Église . Ces citoyens sont donc des laïques et cherchent des voies plus intellectuelles pour se faire entendre, par exemple, le côté juridique de la question qui sert de petite échelle !!. Néanmoins, le creuset se creuse entre les différentes couches de la société et la question resterait en suspens ,pendant un temps qui dépendra du niveau intellectuel de toute une société. Je fais remarquer que parmi les citoyens qui obéissent aux préceptes de l’Église, il y a un bon nombre des intellectuels et depuis toujours par exemple,en France ,Bernanos...et puis ceux qui font partie des deux classes aisées...

    La classe politique en Argentine est de plus en plus laïque mais corrompue qui rend donc la donne encore plus complexe. Pour s'y faire ,me semble -t-il , le politique argentin doit faire le distinguo entre l’Église et l’État et que la société argentine doit empreinter la voie du modernisme et calculer ses risques et donner une évaluations claire des dommages que les citoyens argentins ont à subir;car personne ne peut faire une omelette sans casser d’œuf !

    Il devient donc impératif de tenir compte et de la source et des coutumes des argentins et en même temps de l'évolution du temps. Le problème semble sclérosé et ressemble de plus en plus à une autre lutte juridique , en Égypte, où la société vit de plus sous règne dictatorial de Sissi qui contrôle tout et les femmes de Maespero qui donne une vue de la société égyptienne ,telles, Ada Ibrahim, Safae Higazi, Rania Dib, Mouna Choukre , Faouzi, Hind , l'actrice Yasmine Abdelaziz,...sont bloquées par les restrictions de la politique de Sissi qui se donne la priorité à lui Président et, rien d'autres y compris AlAzhar lieu des mollahs de l'Islam qui à leur tours sont bloqués par les consignes de Sissi . Heureusement , pour l'Argentine qui n'est plus dans une dictature depuis 1982 car ici, l'armée s'est déviée de ses objectifs de rendre l’Argentine une véritable démocratie et le maréchal Sissi est aujourd'hui dans cette même pente !!la société égyptienne chavire chaque jour ;le droit à l'avortement n'est plus à l'ordre du jour ,ce qui fait que les égyptiennes se cachent pour commettre leur crime ou comme les portugaises qui se rendaient en Espagne pour se faire avorter ou les polonaises en Allemagne ... et le débat qui s'impose, effectivement, est-ce un crime de se faire avorter et au nom de quoi ,comme preuve matérielle, l’Église comme la mosquée interdit ce genre de pratique et seules les femmes qui sont dans la nécessité et qui donne la priorité à la vie ,à la femme plutôt qu'au fœtus ?!

    En Argentine , le vote des députés ne signifient en rien sur les pratiques des citoyennes argentines. Et il est certain, le côté juridique est pour donner plus de transparence à des pratiques des siècles d'obscurantisme. Et donc , il me semble que les deux choses publiques à la fois et une légalisation et une pratique sauvage ne vont pas de paire . Le droit donne un sens à un acte mais ne peut rien devant la volonté des femmes de disposer de leur corps , elles font ce que cela leur semblent bon et à tout moment de la grossesse et, les pratiques sont indépendantes d'un droit écrit car ces femmes sont plus influencées par l’Église, par l'entourage direct et jamais par un international moderne.

    Donc se sont les hommes de l’Église qui devraient faire un autre effort ,comme le consul de 1963 pour un débat plus approfondi sur le pour un modernisme à définir et les préceptes de l’Église qui dure maintenant plus de 2000ans ,est-ce toujours valables ou faut-il ajouter un peu d'eau à la coupe !!car disait Jésus si un pauvre fait la manche ,ce pauvre est Jésus qui peut être compris par la société faible ici l'avortement, le divorce, le mariage,les marginalisés...et dont les hommes de l’Église en Argentine ont pour charge de clarifier et de faciliter la voix du Christ qui consiste à rendre à César ce qui est à César et à dieu ce qui est à dieu, car l'avortement est un sujet qui divise toute une société contraire de la lettre messianique du Christ et de l'esprit du Jésus. Pour l'Islam qui dure maintenant ,plus de 1400 ans est clair ,car le prophète Mohamed disait que les préceptes de l'Islam est entre vous ''الإسلام شورة بينكم '', vous faites évoluer l'Islam selon votre temps ,votre époque''كل مائة سنة،يبعث الله من يجدد إسلامها '' ,... mais le genre de Sissi en Égypte et dans les 23 pays arabes a sclérosé la société arabe et par voie de conséquence de même chez les musulmans non arabes...

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