L’indépendance de la Catalogne dans l’impasse?

Lundi 9 novembre, le Parlement catalan a approuvé une résolution qui déclare le début du processus de création d’un Etat indépendant. Ce document marque une étape majeure dans le conflit politique entre le gouvernement catalan et l’Etat espagnol. La résolution exhorte le gouvernement régional à créer des structures d’Etat et à préparer une constitution. Surtout, elle affirme la souveraineté du Parlement catalan et rejette la légitimité des institutions espagnoles. En résumé, il s’agit d’une déclaration unilatérale d’indépendance, même si elle annonce le début d’un processus plutôt que d’en sanctionner la fin. Elle représente un défi formidable à l’intégrité de l’Espagne et pose des questions épineuses à toute l’Union européenne.

Le gouvernement de Mariano Rajoy a immédiatement fait recours au Tribunal constitutionnel, obtenant la suspension de la résolution. La Cour a aussi rappelé à 21 hautes autorités politiques et bureaucratiques catalanes les sanctions, même pénales, qu’elles encourraient en cas de violation de la suspension. Les représentants de la majorité indépendantiste ont toutefois signalé leur volonté de procéder à la mise en œuvre du texte une fois formé le nouvel exécutif. Le «choc des trains» plusieurs fois annoncé par la presse semble être imminent, d’autant plus que Rajoy s’est dit prêt à adopter toute mesure pour sauvegarder la légalité, y compris la suspension de l’autonomie de la région. Un premier pas en cette direction a été franchi le 20 novembre dernier, quand le ministre des Finances, Cristobal Montoro, a annoncé des règles de supervision plus strictes en Catalogne qu’ailleurs en Espagne pour les payements des Fonds régionaux de liquidité que le gouvernement central verse aux communautés autonomes.

Les racines du conflit entre les gouvernements de Barcelone et de Madrid remontent à la révision du Statut d’autonomie de la Catalogne, approuvé par référendum populaire en 2006. Quatre ans plus tard, le Tribunal constitutionnel a amendé une dizaine d’articles et, en particulier, il n’a pas reconnu la Catalogne comme nation souveraine. La décision a favorisé le développement d’un mouvement citoyen pour l’autodétermination qui, impulsé par la crise économique, a débouché sur plusieurs protestations massives. Celles-ci ont conduit, en automne 2012, à des élections anticipées centrées sur le droit des Catalans à décider de leur destin constitutionnel, suivies par un «référendum symbolique» – non reconnu par Madrid – le 9 novembre 2014. Face au refus par l’Exécutif central de tout référendum, le gouvernement catalan a remplacé celui-ci par des «élections plébiscitaires», où les forces indépendantistes ont gagné la majorité absolue des sièges et ont pu ainsi approuver la résolution d’indépendance.

Depuis le début du processus, le premier ministre espagnol, Mariano Rajoy, a suivi une ligne d’opposition inflexible aux demandes catalanes. En automne 2012, alors que l’Exécutif régional n’avait pas encore embrassé la cause séparatiste, il a décliné une renégociation du pacte fiscal entre l’Etat et la Communauté. Ensuite, il a refusé d’octroyer le droit de décider – soutenu par une large majorité de la population catalane – et a demandé l’intervention du Tribunal constitutionnel pour suspendre tout acte d’autodétermination. Cette défense de l’intégrité de l’Etat fait partie de sa fonction et est donc tout à fait normale. Rajoy s’est toutefois réfugié derrière un légalisme obsessionnel et stérile selon lequel, comme la souveraineté réside dans la totalité du peuple espagnol, une partie – la Catalogne – ne peut pas s’arroger le droit de décider du futur de la nation entière. Il n’a donc fait aucun effort pour trouver une solution politique au conflit.

Cette stratégie pourrait payer à court terme. Le camp indépendantiste semble être dans une impasse pour deux raisons principales. D’un côté, aux dernières élections, les indépendantistes ont obtenu la majorité absolue des sièges, mais seulement 47,7% de voix. Ceci ne leur donne pas la légitimité nécessaire à poursuivre une sécession unilatérale, d’autant plus que seulement 35,6% des Catalans acceptent que le gouvernement désobéisse à la loi.

D’un autre côté, le camp indépendantiste risque de se diviser autour du choix du nouveau gouvernement. La liste qui a gagné la majorité relative – Junts pel Sì (Ensemble pour le oui) – soutient l’actuel président Artur Mas, alors que l’autre parti du bloc séparatiste, l’organisation d’extrême gauche CUP, s’oppose fermement à celui-ci à cause de ses politiques d’austérité et de son implication dans des scandales de corruption. Deux votations d’investiture se sont déjà déroulées sans résultat positif, du jamais vu dans l’histoire de la Communauté. Les négociations restent ouvertes et les deux formations ont jusqu’au 9 janvier pour trouver un accord, mais si celles-ci devaient échouer, une nouvelle élection aurait lieu, dans laquelle la population pourrait sanctionner sévèrement ce manque de cohésion.

Le chemin du camp indépendantiste est donc très ardu. Des fissures semblent apparaître à l’intérieur du parti d’Artur Mas (Convergence démocratique de Catalogne), où certains membres lui reprochent d’avoir fait trop de concessions à l’extrémisme de la CUP. Dans cette formation également des tensions se manifestent, car une partie serait ouverte à soutenir Mas plutôt que de voir le processus souverainiste naufrager. La situation pourrait se débloquer après le 29 novembre, quand la CUP tiendra une assemblée de ses membres pour prendre une décision sur la question. entre-temps, la communauté internationale ne semble avoir nulle intention de légitimer l’autodétermination de la région, surtout si celle-ci est obtenue de manière unilatérale.

Les élections générales du 20 décembre ajoutent de l’incertitude au panorama politique. D’un côté, bien qu’improbable, une victoire d’une coalition de centre-gauche incluant le Parti socialiste et Podemos pourrait amener à une modification de la Constitution vers un modèle plurinational, offrant ainsi une alternative à la polarisation actuelle entre l’indépendance et le statu quo. De l’autre, la radicalisation de la majorité parlementaire catalane pourrait favoriser Rajoy, qui se propose comme le seul acteur capable de l’opposer vigoureusement. Voilà pourquoi la stratégie du premier ministre pourrait être gagnante d’ici la fin de l’année.

Il s’agirait toutefois d’une victoire illusoire. Ces dernières cinq années, en Catalogne, le soutien à l’indépendance a plus que doublé et une large majorité demande le droit de décider de son avenir. Le conflit concerne donc la définition de la population titulaire de la souveraineté. Une simple défense du système légal actuel, basé sur l’unité et indivisibilité de la nation espagnole, ne peut rien contre cela. En revanche, une redéfinition de l’Etat vers une réalité plurinationale pourrait réduire la frustration de la population locale. Cette option n’est pas une panacée, comme le montre le cas écossais, mais peut modérer le débat et augmenter la confiance de la population locale dans les institutions étatiques. En se limitant à défendre la légalité de l’ordre constitutionnel, Rajoy est en train d’en saper la légitimité.

Emmanuel Dalle Mulle, chercheur à l’Institut de hautes études internationales et du développement à Genève.

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