L’interdiction du « burkini » est une faute juridique et politique

En 1964, une jeune femme qui jouait au ping-pong en monokini à Cannes (Alpes-Maritimes) sur la Croisette fut condamnée pour outrage à la pudeur. Un demi-siècle plus tard, le maire de la ville vient d’interdire le port du « burkini » sur ses plages. Cette mesure ne semble guère ­conforme aux normes dont le respect s’impose à l’administration.

La loi de 2010 qui interdit le port de la burqa ne fournit aucun appui à l’arrêté litigieux. Cette loi vise la dissimulation du visage dans l’espace public, tandis que le burkini laisse le visage apparent. Pour confirmer la conformité de cette loi à la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), la Cour de Strasbourg s’était fondée exclusivement sur l’obstacle à l’interaction entre individus que dresse le voile intégral, et insistait sur le fait que la loi n’était pas « explicitement fondée sur la connotation religieuse des habits visés mais sur le seul fait qu’ils dissimulent le visage ».

Les arguments relatifs à la sécurité et à l’asservissement de la femme, également retenus à l’époque par le Conseil constitutionnel, perdent eux aussi leur pertinence dès lors que le visage n’est pas dissimulé par l’objet du scandale. Si on laisse de côté les motifs – hygiène et complications en cas de noyade –, qui ont une évidente nature de prétexte, trois arguments s’efforcent de justifier l’interdiction du burkini.

Premièrement, l’arrêté cannois cible les vêtements qui ne respectent pas la laïcité. Mais c’est là déformer ce principe, qui ne concerne directement que les autorités publiques, auxquelles il impose une neutralité religieuse.

En l’absence de loi spécifique, comme dans le milieu scolaire, les personnes privées ne sont pas astreintes à une neutralité religieuse. La liberté religieuse ne disparaît pas à l’entrée des plages, comme le pense le tribunal administratif de Nice, pour lequel elles ne constituent pas « un lieu d’exercice adéquat » de cette liberté.

« Consolidation des stéréotypes »

Deuxièmement, le port du burkini exprimerait une allégeance aux mouvements terroristes. Si tel était le cas il devrait effectivement être banni, dès lors que l’apologie du terrorisme constitue une infraction. On peut comprendre que, un mois après l’horreur du 14-Juillet, le juge niçois ait semblé accepter une telle interprétation.

Mais le burkini ne paraît pas être autre chose qu’un voile islamique imperméable. Assimiler toute manifestation de convictions musulmanes à un soutien du terrorisme est une erreur dangereuse pour le­ vivre-ensemble que le législateur annonçait vouloir protéger en bannissant le voile intégral.

Reste les risques de violences, retenus par le tribunal administratif de Nice. Lorsque les opposants menacent de s’en prendre à celui qui exerce sa liberté, faut-il lui interdire de s’exprimer pour le protéger ? En France, la réponse a été donnée par le Conseil d’Etat dès 1933 dans le célèbre « arrêt Benjamin ». Le premier objectif des autorités publiques doit être de garantir la liberté, si besoin en renforçant les effectifs policiers. Seule l’impossibilité de maintenir l’ordre peut justifier la restriction.

On peut espérer qu’une telle situation n’est pas encore d’actualité, et que la seule réponse à l’islamophobie n’est pas de cacher les musulmans. En revanche, il est certain que l’interdiction du burkini fait partie des mesures qui accélèrent ce néfaste mouvement.

La Cour européenne des droits de l’homme l’avait rappelé à propos de la loi sur le voile intégral : « Un Etat qui s’engage dans un processus législatif de ce type prend le risque de contribuer à la consolidation des stéréotypes qui affectent certaines catégories de personnes et d’encourager l’expression de l’intolérance alors qu’il se doit au contraire de promouvoir la tolérance. »

Thomas Hochmann, professeur de droit public à l’université de Reims Champagne-Ardenne.

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