L’interventionnisme n’est jamais la solution

Des hommes constatent les dégâts après un raid de l'armée syrienne, à Douma, dans l'enclave de la Ghouta orientale, le 10 mars. AFP
Des hommes constatent les dégâts après un raid de l'armée syrienne, à Douma, dans l'enclave de la Ghouta orientale, le 10 mars. AFP

L’interminable désastre syrien, le martyre imposé à ce peuple à bout de souffrance, tout cela soulève le cœur et provoque l’indignation. C’est pourquoi la bataille de la Ghouta nous conduit une fois encore à nous interroger sur ce que les principales puissances du monde devraient faire. «Comment en est-on arrivé là ?» nous demande l’opinion publique.

La critique de l’inaction des pays occidentaux est bien compréhensible mais elle doit être mise en regard des réalités syriennes et plus encore des interventions occidentales de ces vingt dernières années en Afghanistan, en Irak et en Libye. Force est de constater que ces politiques interventionnistes ont toutes échoué, partout.

Il faut bien en tirer la leçon. Elles ont coûté des milliards, elles ont fait des centaines de milliers de victimes, elles sèment le désordre et le malheur parmi les peuples. Loin de contribuer à l’apaisement des crises, elles ont eu des conséquences désastreuses.

En Afghanistan, après dix-sept ans d’une guerre qui se prolonge interminablement, les talibans sont aux portes du pouvoir. En Irak, l’élimination de Saddam Hussein est à l’origine de l’Etat islamique et de la crise internationale majeure qui en est résultée, laquelle est loin d’être terminée. En Libye l’intervention occidentale fut certes brève et Kadhafi éliminé, mais le désordre qui y règne désormais pourrait nous le faire regretter. Il n’y a guère que la première guerre d’Irak qui ait atteint ses objectifs avec le rétablissement de la souveraineté du Koweït.

Ces échecs ne sont pas le fait du hasard. Les interventions occidentales avaient pour but de chasser les régimes en place, d’instaurer de nouvelles institutions supposées «démocratiques» et de créer un nouvel ordre régional. C’étaient des guerres à caractère colonial. On en connaît le résultat. Voudrait-on que nous récidivions en Syrie ?

On objectera que l’intervention russe apporte la preuve contraire et donne l’exemple d’une opération réussie. On aurait tort. Je peux affirmer en connaissance de cause que jamais Hafez al-Assad n’aurait accepté qu’une grande puissance installe des bases militaires sur le sol syrien et on peut s’attendre à ce que la Syrie ne le supporte pas longtemps.

Alors, que faire ? Dans le chaos syrien où s’affrontent l’armée syrienne et des milices jihadistes, nous n’avons aucune raison de soutenir les uns ou les autres. Il y a de nombreux civils emportés dans cette tourmente. Seul le Conseil de sécurité de l’ONU est susceptible d’agir en leur faveur. Dès lors que l’option de la force armée est exclue, il faut se tourner vers la diplomatie. La crise syrienne n’est pas isolée, elle est un élément d’un tout dans l’espace du Proche et du Moyen-Orient où coexistent quatre dossiers à traiter de front.

Le premier concerne la stabilisation de la Syrie qui nécessite l’organisation d’élections sous contrôle international.

Le deuxième concerne la sécurité d’Israël, remise en question par les bouleversements en cours dans la région.

Le troisième est relatif à la reconstruction économique mais aussi politique de l’Irak, de Mossoul à Bagdad, seule susceptible d’apporter l’apaisement dans ce pays ébranlé par l’aventure sunnite de Daech.

Le quatrième dossier à traiter, c’est la reconnaissance du monde kurde qui devrait bénéficier, aussi bien en Syrie qu’en Irak, d’une forme d’autonomie sur un modèle de type québécois.

On pourrait y ajouter le conflit au Yémen qui est un caillou bien embarrassant sous les pieds saoudiens.

Le temps des négociations est donc venu, et d’abord pour les puissances régionales que sont l’Arabie saoudite, l’Iran et la Turquie, dont c’est la responsabilité première. Mais il est évident que cela concerne aussi les puissances internationales les plus directement en cause, les Etats-Unis, la Russie et les grands pays européens, la France en tête. Ce sera ardu, tant les intérêts sont contradictoires et les positions de départ éloignées. On ne voit guère une vraie disponibilité pour faire les concessions nécessaires, ou pour reconnaître la réalité des nouveaux rapports de force. En effet, derrière les négociations, se cache le partage des zones d’influence qui entraînera le partage du fardeau de la reconstruction, ce qui pourrait tempérer les ardeurs car, des bords de l’Euphrate aux rives de la Méditerranée, le pays sunnite est en ruine.

D’ores et déjà, on peut affirmer sans risque de se tromper qu’ouvrir cette phase nouvelle par la remise en cause de l’accord nucléaire conclu avec l’Iran, comme le demande le président américain, aurait des conséquences graves et constitue un choix stratégique qui ne peut pas être celui de la France. La «température» régionale est très élevée, le Moyen-Orient est à cran. Dans cette conjoncture à hauts risques, la France ne doit dépendre de personne, ni se rallier à quiconque. Sa valeur ajoutée viendra - si elle vient - de ce qu’elle écoute tout le monde, de ce qu’elle parle avec tout le monde, dans cette région qu’elle connaît de longue date et où elle peut bénéficier d’un certain crédit quand elle se présente comme un «honest broker».

Hervé de Charette, ancien ministre des Affaires étrangères (1995-1997).

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