L’Iran n’a rien à voir avec le terrorisme djihadiste qui frappe l’Occident depuis 2001

Au moment où l’ouverture internationale de l’Iran semble irréversible après la réélection d’ Hassan Rohani, le président américain vient de décrire l’Iran comme « principal financeur et organisateur du terrorisme international »

Comment l’Europe et la France, qui sont directement touchées par le terrorisme islamiste radical, peuvent-elles réagir face à cette « vérité alternative » – en français, ces mensonges – dont est coutumier le président américain ? Certes, l’Iran a mauvaise presse, mais à se tromper dans l’analyse des changements au sein de la République islamique, on risque de laisser agir ceux qui rêvent de déstabiliser ce pays et d’étendre le chaos, après l’avoir fait ou laissé faire en Afghanistan, en Irak, en Libye, ou en Syrie.

Plus que la victoire de la « modération », la réélection en Iran d’Hassan Rohani est celle de la « République ». Certes, l’Iran n’est pas une démocratie, mais c’est devenu, à force de luttes, une République où la volonté de la majorité finit par l’emporter. C’est une preuve de la maturité politique de la majorité écrasante des Iraniens qui, sans renier son riche héritage, se sent assez forte pour relever les nombreux défis auxquels doit faire face son pays durement affecté par quatre décennies de conflits internes et internationaux.

Rapports de force nuancés

Il est de bon ton de répéter que cette dynamique de la société iranienne est bien sympathique, mais ne pèse pas lourd face au pouvoir omnipotent du Guide suprême Ali Khamenei et des nombreuses institutions politiques, policières, religieuses et économiques qu’il contrôle.

La réélection d’Hassan Rohani impose de constater la réalité finalement assez banale, mais unique dans le Moyen-Orient, d’une vie politique où les rapports de force sont nuancés et s’imposent sans violence, par les élections. Depuis l’accord de 2015 sur le nucléaire signé avec les six grandes puissances, le logiciel politique de l’Iran a profondément changé, rendant possible une dynamique vertueuse qui peut concourir à stabiliser la région et à résoudre les aspects contestables ou condamnables de la politique intérieure ou extérieure de la République islamique.

Ces faits sont des évidences pour tous ceux qui s’efforcent de connaître en profondeur l’Iran d’aujourd’hui. Dans ce contexte nouveau et désormais durable, quel rôle peut jouer l’Iran dans la région, et notamment dans la lutte contre le terrorisme de l’islamisme radical qui est la priorité absolue de la politique française au Moyen-Orient ? La politique iranienne en Syrie, Liban, Irak ou Yémen peut, certes, être discutée ou contestée, mais elle ne saurait être rejetée par de simples condamnations qui tiennent plus du discours populiste sur « l’impérialisme historique » de l’Iran ou ses ambitions de « domination chiite ».

Une réalité vraie s’impose : ce n’est pas l’Iran qui occupe Rakka ou Mossoul, qui est derrière les attentats du 11 septembre, de Charlie Hebdo ou de Manchester ou qui bombarde le Yémen tuant la population civile. D’autre part, en Syrie comme en Irak, l’Iran est, avec les Kurdes, la seule force militaire régionale combattant l’organisation Etat islamique avec ses gardiens de la révolution et ses milices. On peut préférer la politique saoudienne à celle de l’Iran, mais il ne semble plus possible d’accepter que se prolonge le conflit entre les deux nouvelles puissances émergentes du Moyen-Orient.

Détruire la dynamique pacifique

L’urgence de la situation et les changements politiques récents aux Etats-Unis, en Iran comme en France, imposent de faire des analyses fondées sur la réalité et de prendre des décisions courageuses, quand Donald Trump associe l’organisation Etat islamique et l’Iran dans un nouvel « axe du Mal » et appelle au conflit sinon à la guerre.

Cela nous rappelle le début des années 2000, quand George W. Bush, après s’être rapproché en 2001 du président réformateur Mohammad Khatami, après les attentats du 11 septembre et la lutte contre les talibans d’Afghanistan, avait, à la surprise générale, placé l’Iran dans « l’axe du Mal » avec l’Irak et la Corée du Nord. La question irakienne a été « réglée » en 2003 avec le « succès » que l’on connaît, la Corée du Nord est revenue sur l’agenda américain. Il restait l’Iran. C’est fait.

La France s’était courageusement opposée, en vain, à l’invasion de l’Irak en 2003. La politique proposée aujourd’hui par le nouveau président américain, en concertation avec l’Arabie et Israël, ne se traduira probablement pas par une guerre ouverte contre l’Iran, mais pourrait aboutir à détruire la dynamique pacifique en cours en Iran en déstabilisant le pays : blocage de la reprise économique en menaçant de sanctions les sociétés internationales qui investiraient en Iran, notamment les banques, soutien financier, militaire et politique à divers groupes terroristes liés aux djihadistes à l’intérieur du pays, isolement international et diplomatique de l’Iran.

Autant d’actions de nature à faire échouer la politique de reconstruction et d’ouverture mise en œuvre par Hassan Rohani, à soutenir l’opposition des forces politiques iraniennes conservatrices et islamistes, hostiles à l’Occident et à justifier ainsi les craintes de l’Arabie saoudite face à leur puissant voisin devenu hostile.

Lutte contre le djihadisme

Que peut faire la France ? Toutes proportions gardées, Paris se trouve aujourd’hui dans la même situation qu’en 2003 quand Jacques Chirac avait refusé d’entrer en guerre contre l’Irak. Le nouveau gouvernement d’Emmanuel Macron a clairement donné la priorité à la lutte contre le djihadisme et à la recherche de solutions réalistes et durables des conflits. Les nominations dans les divers cabinets ministériels semblent confirmer cette nouvelle politique.

On constate cependant dans cette période le regain d’activité de puissants lobbies, à l’œuvre depuis près de vingt ans, qui rejettent toute solution équilibrée qui donnerait à l’Iran, fût-il démocratique, un rôle pour contribuer à la stabilité d’un Moyen-Orient au bord du chaos et dominé par l’émergence et la prospérité des monarchies pétrolières.

L’hostilité de Donald Trump et du gouvernement de Benyamin Nétanyahou à l’accord de 2015 sur le nucléaire iranien a ravivé l’activisme et les espoirs de ces nostalgiques de la politique des néoconservateurs de George W. Bush, dans les partis politiques, les administrations, les médias, les think tanks et même les milieux universitaires français.

Derrière un discours policé et savant, ils refusent de constater la réalité des transformations irréversibles qui ont marqué l’Iran. Ils légitiment ainsi des décisions aux effets dramatiques. Espérons seulement que ces lobbies ne réussiront pas à entraver les initiatives que l’on attend de la France pour construire une paix durable au Moyen-Orient, en prenant en compte les vérités vraies et non pas « alternatives ».

Par Thierry Coville (économiste, chercheur à l'IRIS), Bernard Hourcade (géographe, directeur de recherche émérite au CNRS) et Azadeh Kian (professor of Sociology and Director of the Center for Gender and Feminist Studies at the Univresity of Paris 7-Paris-Diderot).

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