L'Irlande, modèle de réussite pour les politiques d'austérité? Pas si sûr...

En termes de traitement de choc pour réduire les déficits publics, le ''bon élève de l'Europe'' semble avoir une longueur d'avance sur le gouvernement de Jean Marc Ayrault.

L'Irlande a lancé en octobre 2012 un plan intitulé "Putting People First'' ayant l'ambition de faire économiser 420 millions d'euros aux collectivités locales au cours des quatre prochaines années soit 10 % de leur budget (il succède à un premier plan de rigueur ayant réduit de 17% leurs recettes entre 2008 et 2012).

Par exemple, l'effort financier de 1,5 milliard d'euros demandé aux collectivités territoriales (CT) françaises au titre de l'année 2014 représente moins de 1% de leurs recettes. Depuis les débuts de la crise économique en Irlande, les collectivités locales ont été plus affectées que tout autre section du service public, avec des réductions d'emplois de l'ordre de 24% depuis 2008. Durant ces cinq dernières années, les collectivités locales ont réduit leurs dépenses de près d'un milliard d'euro.

Dès lors, dans la fonction publique territoriale irlandaise, les baisses de salaires ont pu atteindre les 20% et les pensions ont diminué jusqu'à 10%. De surcroit, le temps de travail est passé de 35 heures à 37,5 heures le 1er juillet 2013.

Ce plan ne se limite pas uniquement à des mesures budgétaires mais prévoit aussi une réforme coercitive de l'organisation locale irlandaise. Le nombre de local authorities passera de 114 à 31 avec notamment la suppression de 80 communes ou des fusions forcées d'agglomérations entières. Le nombre d'élus locaux sera aussi réduit de 40% alors que le ratio nombre d'habitants/élus locaux était déjà le plus faible d'Europe, juste derrière le Royaume-Uni .

SACRIFICES

Les élus locaux siégeront au sein des Municipal Districts et des County Councils, ce qui n'est pas sans rappeler les '"conseillers territoriaux'' de Nicolas Sarkozy, finalement mort-nés.

Ces réformes sont cependant mises en place sans heurts majeurs dans un pays conservateur dont le pacte républicain est fondé sur une culture du compromis. De plus, les sacrifices consentis depuis 2009 par l'ex " tigre celtique " semblent porter leurs fruits avec une croissance du produit intérieur brut (PIB) annoncée de 1,1 % en 2013 et de 2,2 % en 2014 .

Il n'en fallait pas plus pour que les tenants de la politique d'austérité érigent, comme dans le passé, l'Irlande en modèle. Karl Whelan, économiste à University College Dublin résume ainsi : "Certains veulent dépeindre l'Irlande comme "le" grand succès de la zone euro, quitte à tordre la réalité, pour valider des thèses sur les bienfaits de l'austérité et la nécessité de faire des réformes. La réalité est un peu plus complexe".

En effet, cette cure d'austérité lancée en 2009 a abouti à un sévère ralentissement de la consommation ainsi que l'explosion de la dette publique (120 % en janvier 2013 contre 65 % en janvier 2010 selon le Central statistics Office irlandais) et du taux de chômage (13,7 % en juillet 2013 contre 5% en janvier 2008).

La crise économique a donc fait figure de prétexte pour affaiblir des collectivités locales irlandaises, pourtant parentes pauvres d'un système politique que le Conseil de l'Europe a récemment qualifié "d'excessivement centralisé''.

ÉLOIGNEMENT DES LIEUX DE PRISE DE DÉCISIONS

Sous les auspices du Conseil de l'Europe, une délégation du Congrès de collectivités locales et régionales d'Europe (CLRAE) s'est rendu en Irlande en novembre 2012, un mois après la publication de "Putting People First".

Leur rapport intitulé "Local Democracy in Ireland", publié en février 2013, critique virulemment "Putting People First" et souligne que "cette nouvelle politique, bien qu'elle fasse l'éloge de la décentralisation dans son principe, ne propose pas vraiment d'étapes pour y arriver. Certains aspects vont même dans la direction opposée.'' (Para 153, p. 24).

En outre, comment ne pas être surpris par le titre du programme de redressement budgétaire (Putting people first, "Le peuple d'abord") qui, prétendant accorder sa priorité au peuple, ne fait que renforcer l'éloignement de ce dernier des lieux de prise de décisions ? Cette tentation centralisatrice comporte deux dangers, l'un économique, l'autre politique.

D'une part, elle génère de facto une contraction des investissements locaux qui alimente une récession ayant aboutit à une baisse de 10 % du PNB entre 2008 et 2011.

D'autre part, elle semble créer une défiance voire un rejet à l'égard d'élus locaux rendus impuissants alors qu'ils représentent le premier niveau de la démocratie - en témoigne la multiplication par deux du score des candidats indépendants passant de 6% a plus de 12% entre 2007 et 2011 lors des dernières élections générales.

DETTE PUBLIQUE DE 28 000 EUROS PAR FRANÇAIS

La réduction du nombre de collectivités locales de 73% (de 114 à 31) limitent les occasions de participation des jeunes dans la vie démocratique locale, particulièrement les femmes qui sont extrêmement sous-représentées à l'heure actuelle. Les town councils représentent un marchepied accessible et commode pour entrer en politique.

A l'heure où Daniel Cohen appelle de ses vœux un "grand deal avec les collectivités locales'' (Daniel Cohen, Nicolas Baverez, "La crise jusqu'où ?", Hors-série, Les Echos, 10 janvier 2013) afin d'éviter l'envolée d'une dette publique qui représente déjà 28 000 euros par Français (un niveau historique de 91,7 % du PIB a été atteint en juin 2013 selon l'Insee), il apparaîtrait hasardeux de suivre l'exemple du " bon élève de l'Europe ".

Le programme de rigueur sans précédent imposé aux collectivités locales a, en effet, d'avantage relancé l'endettement public et le populisme que le pouvoir d'achat des Irlandais.

Par Aodh Quinlivan, maître de conférences en sciences politiques à l'University College de Cork (Irlande) et Yannick Cabrol, Economic Development Officer au Waterford County Council, Irlande.

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