Oui ? Non ? Beaucoup de choses dépendront de la réponse que les Irlandais donneront, vendredi, à leur second référendum sur le traité institutionnel européen. Si c’est «oui», ce traité entrera rapidement en vigueur puisque même les Tchèques ne pourraient plus le bloquer longtemps. L’Union aura, alors, un président, un homme ou une femme qui l’incarne sur la scène internationale. Elle aura non seulement un «Haut Représentant», un ministre des Affaires étrangères, mais également un service diplomatique commun, chargé d’harmoniser les positions des Vingt-Sept, de réduire leurs divergences et, surtout, d’affirmer leurs convergences, plus nombreuses qu’on ne le croit.
Plus important encore, les dirigeants des Etats membres devront, à l’avenir, proposer au Parlement un candidat à la présidence de la Commission qui soit issu de la majorité choisie par l’électorat paneuropéen. Cela devrait, enfin, inciter les grands courants politiques de l’Union - droite, gauche, Verts et autres - à former de vrais partis européens, présentant des listes communes appuyées sur des programmes de gouvernement de l’Europe.
Si c’est «oui», un pas sera fait vers l’Europe politique et la dynamique fédérale en sera favorisée. Si c’est «non», constat sera fait de l’approfondissement de la coupure entre l’Europe et les Européens. L’Union sera en danger, menacée de s’enfoncer plus encore dans sa morosité, mais cela pourrait avoir un effet bénéfique. Cela devrait alors inciter Angela Merkel et Nicolas Sarkozy à aller plus vite et plus loin dans le projet de relance du couple franco-allemand auquel ils travaillent discrètement depuis plusieurs mois.
Avec leurs plus proches conseillers, ils étudient l’idée de redonner une avant-garde à l’Union en donnant un nouvel élan au rapprochement que De Gaulle et Adenauer avaient scellé, il y a quarante-six ans, par le traité de l’Elysée. La chancelière et le président de la République envisagent d’organiser une convergence durable des politiques française et allemande dont le symbole pourrait être la participation de représentants de chacun des gouvernements aux réunions de l’autre - de systématiquement harmoniser les positions de Paris et Berlin, de leur faire adopter des politiques industrielles communes et de les faire parler d’une seule voix, aussi bien au sein de l’Union que sur la scène internationale.
Si l’Irlande dit «oui», ils pourraient attendre jusqu’au printemps, le temps de visser ce projet jusque dans les moindres détails. Si c’est «non», ils pourraient le dévoiler dès novembre, à l’occasion du vingtième anniversaire de la chute du Mur, à moins qu’ils ne se sentent prêts, en tout état de cause, pour cette date.
On verra mais, quelle que soit la réponse irlandaise, qu’elle enterre les nouvelles institutions ou permette leur mise en place, l’urgence sera la même. La croissance repart, dit-on. Oui, c’est vrai, mais se poseront bientôt les problèmes de l’endettement auquel les Etats ont dû se résoudre pour éviter une nouvelle crise de 29 ; de la remontée des taux d’intérêt qui ne pourront pas éternellement rester à un tel plancher ; de l’inévitable ralentissement des aides publiques dispensées à l’automne dernier ; du chômage qui, partout, s’amplifie et des menaces monétaires qui pointent dans la mesure où une baisse du dollar finira par s’imposer à l’Amérique, entraînant automatiquement une envolée de l’euro dont les économies européennes auront à souffrir.
Une faillite mondiale a été évitée mais les conséquences socio-économiques de la crise sont à venir et, si l’Union ne sait ni préparer le long terme par des investissements communs ni parer les dangers immédiats en harmonisant ses politiques, l’Europe sera la perdante de ce siècle face à des pays avantagés par la dimension continentale de leur marché intérieur.
Au moment où la crise du modèle libéral fait redécouvrir le besoin d’Etat, les Européens ne peuvent se passer de l’émergence de la puissance publique d’une Union suffisamment volontaire et dynamique pour aligner ses forces et promouvoir cette régulation des marchés dont, nécessité faisant loi, Angela Merkel et Nicolas Sarkozy sont devenus des apôtres.
Pour chaque Européen, il y a urgence mais qui d’autre que l’Allemagne et la France pourraient donner à l’Union un exemple d’unité que d’autres Etats membres suivraient ensuite ? La Grande-Bretagne y sera moins que jamais disposée quand les conservateurs en auront pris les rênes, avant l’été. L’Italie est berlusconienne, l’Espagne en crise… Seuls Paris et Berlin le pourraient et le plus vite serait le mieux.
Bernard Guetta, membre du conseil de surveillance de Libération.