L’irresponsabilité européenne sur les questions migratoires

La migration a profondément marqué l’histoire européenne et occidentale. Avant d’être une terre d’immigration, le continent européen était une terre d’émigration. Au début du XXe siècle, ce sont des navires remplis d’Européens qui arrivaient sur les côtes américaines. Reconnaissons-le: nous sommes tous des migrants. Chacun de nous a vécu, directement ou indirectement, une expérience migratoire, qu’elle soit intra ou extra-européenne, humaine ou professionnelle.

Il ne se passe pas un jour sans que se déroulent des désastres humains aux portes de l’Europe. Des milliers de migrants sont logés dans des conditions inhumaines, entassés comme du bétail dans des camps insalubres et inadaptés.

Nous constatons, premièrement, que les droits humains ne sont pas respectés à l’égard des migrants. Les nombreuses violations de leurs droits nécessitent de rappeler que les migrants ne sont pas exclus de la Déclaration universelle des droits de l’homme. L’usage du droit administratif pour expulser massivement des êtres humains intentionnellement précarisés se fait au mépris de leur dignité, alors qu’ils ne constituent pas un péril pour la sécurité et la cohésion nationales, comme le dit la Cour européenne des droits de l’homme.

Deuxièmement, la migration est un phénomène global qui implique une réponse internationale. Les Etats sont incapables de régler seuls la situation. Alors que le réchauffement climatique, le vieillissement de la population européenne et la féminisation de la migration ne font qu’amplifier les flux et les besoins migratoires, il devient impératif de dépasser la rigidité et l’archaïsme de la souveraineté nationale en la matière.

Le 9 février, l’initiative populaire «Contre l’immigration de masse» a été acceptée par les citoyens et citoyennes suisses. L’UDC a porté, seule contre tous, cette votation qui remet en cause la libre circulation des personnes, principe au cœur même du projet européen, mais aussi le droit d’asile, et ce, malgré les engagements internationaux de la Confédération. La Suisse avec un taux de chômage de 3,2%, chiffre bien inférieur à la moyenne de la zone euro (11,8%), avec le dynamisme de son économie, offre un contraste saisissant avec une Europe qui peine à se sortir de la crise économique. Pour autant, l’excellente santé économique n’a pas empêché la rhétorique anti-immigration de l’UDC de s’imposer dans le débat public et sur l’agenda politique. Le discours musclé de la première force politique nationale a réussi à séduire une partie grandissante de l’électorat. Cependant, l’immigration, constituée essentiellement de ressortissants de l’Union européenne, a pleinement profité à la croissance, même si elle nécessite une réponse fédérale et cantonale aux défis qu’elle pose, en termes de logement et de transport.

Le discours anti-immigration n’est pas une particularité suisse. Des mouvements d’extrême droite, populistes et eurosceptiques, pullulent au sein des Etats de l’Union européenne, au moment où le continent ne parvient pas à s’extirper du marasme économique. Dans la même logique que celle de l’UDC, ils se sont emparés des questions migratoires, thématisées comme une menace pour les citoyens et pour l’équilibre national. En jouant sur les peurs, le débat est essentiellement émotionnel: il n’y a plus de place pour la rationalité. Le migrant, n’ayant pas le privilège d’être né sur le territoire, est alors nécessairement «l’étranger». Il emporte avec lui criminalité et chômage. Sa stigmatisation se retrouve dans la rhétorique des partis situés à l’extrême droite de l’échiquier politique. Quand Marine Le Pen, évoquant les migrants traversant la Méditerranée, se demande «combien de Merah dans les bateaux?», faisant ici référence à l’auteur des tueries de Toulouse de mars 2012, l’amalgame est terrible.

Bien que l’argumentaire contre l’immigration soit irrationnel, il trouve un écho prononcé dans l’opinion publique. Les médias, friands de déclarations «chocs», y participent grandement. Certains dirigeants européens accumulent les sorties critiques sur la migration, au mépris de la retenue et des responsabilités qui incombent à leur position. Cette droitisation du discours démontre qu’il n’y a actuellement plus de courage ni de vision politiques. De l’autre côté, le silence assourdissant de la gauche européenne, maintenant l’ambiguïté, laisse penser qu’il n’y aurait pas d’alternative à la fermeture.

Il est donc impératif de replacer le débat concernant l’immigration sur les champs oubliés du rationnel et du raisonnable. Les chiffres économiques sont pourtant bel et bien là, démontrant notamment les bénéfices de l’immigration en matière de croissance. La Suisse, et l’Europe tout entière, ont un urgent besoin de «courage politique». Laisser le monopole du discours sur l’immigration aux forces nationalistes, qui usent et abusent largement des peurs et fantasmes collectifs, est une grave erreur qui, au-delà même du débat moral, menace la démocratie.

La question migratoire ne fait que mettre en lumière ce qui constitue probablement le plus grand frein à la construction européenne et au rapprochement de la Suisse à l’Union européenne de cette fin de XXe siècle et de ce début de XXIe: la souveraineté d’une part, et la difficulté qu’a l’Europe à se définir comme continent dans un contexte inédit de mondialisation.

Fini le temps jadis où il suffisait à l’Europe d’«être» pour exister. Nous devons aujourd’hui prendre conscience que la migration n’est pas une anomalie, mais bien un état normal de l’humanité.

Florian Micco, Nicolas Torchin et Baptiste Pichard-Rivalan, étudiants à l’Université de Genève.

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