L'islam doit être critiqué

On le sait, depuis les régimes totalitaires, les langues, elles aussi, contractent des maladies qui peuvent les corrompre. « Islamophobie » fait partie de ces mots toxiques qui brouillent le vocabulaire et le dénaturent. Forgé par des administrateurs coloniaux français, au début du XXe siècle, pour protéger leurs « sujets indigènes » de toute contagion moderniste, il resurgit dans le discours public, au tournant de la révolution iranienne. Mais avec un autre sens : soucieux d'accéder à la dignité de l'antisémitisme, il tend à faire de l'islam un objet inaccessible à la critique, sous peine de poursuites. Il devient le nouvel instrument de propagation du fondamentalisme qui s'avance masqué, drapé dans les atours de la victime.

L'habileté de cette invention est de rétablir le délit de blasphème à l'encontre des grands systèmes de la foi. On confond l'intolérance religieuse qui relève des tribunaux, avec le libre examen d'une doctrine. Autant le racisme s'adresse aux personnes coupables d'être ce qu'elles sont, le Noir, l'Arabe, le Juif, le Blanc, autant l'opinion portée sur une confession peut varier et toucher à des dogmes toujours susceptibles d'exégèse, de discussion.

EVEILLER LA CULPABILITÉ OCCIDENTALE

Depuis quand une grande religion est-elle une race ? Depuis quand le jugement qu'on porte sur elle constitue-t-il un délit ? On a le droit de détester telle ou telle confession et de le dire. L'islam est une maison divisée entre progressistes et traditionalistes que le souvenir de sa grandeur perdue emplit de tristesse et de haine. Cette blessure, les fondamentalistes voudraient la cicatriser au plus vite, en l'imputant aux croisés, mécréants, sionistes alors que les réformateurs voudraient l'ouvrir plus encore afin de provoquer une secousse vitale.

Le concept d'« islamophobie » voudrait éveiller notre culpabilité d'Occidentaux. Mais il est avant tout un outil de police interne à l'égard des musulmans libéraux qui osent critiquer leur confession. Il faut les désigner, ces renégats, à la vindicte de leurs coreligionnaires, les dire imprégnés d'idéologie coloniale pour bloquer tout espoir d'une mutation, avec l'onction des supplétifs et des idiots utiles de la gauche et de la droite, toujours à l'affût d'un nouveau racisme et certains de tenir avec l'islam le dernier sujet opprimé de l'histoire.

Nous assistons bien depuis vingt ans à la fabrication d'un nouveau délit d'opinion. Il s'agit de stigmatiser ces jeunes femmes qui souhaitent s'affranchir du voile, épouser qui elles aiment et non pas qui on leur impose, foudroyer ces Français, ces Allemands, ces Anglais d'origine maghrébine, turque, africaine qui réclament le droit à l'indifférence religieuse et veulent vivre leur vie sans allégeance à leur communauté d'origine. Bref, on déplace la question du plan intellectuel ou théologique au plan pénal, toute objection, moquerie ou réticence étant passible de poursuites.

Contre-exemple flagrant : alors même que les chrétiens en terre d'islam sont persécutés, tués, poussés à l'exode, le mot « christianophobie » ne prend pas et ne prendra jamais. Etrange raté : nous avons du mal à nous représenter le christianisme autrement que comme une religion de la conquête alors qu'il est aujourd'hui celle du martyre, au moins au Proche-Orient. On peut en France, pays de tradition anticléricale, ridiculiser Moïse, Jésus, les représenter dans toutes les postures même les plus obscènes, mais on ne devrait jamais rire de l'islam. Lui seul devrait échapper à l'opprobre, à la moquerie. Quelle présomption ! D'autant que les actes antireligieux en France touchent les chrétiens même s'ils augmentent proportionnellement pour les juifs et les musulmans.

C'est bien parce que la France laïque considère ses citoyens musulmans comme des égaux qu'elle a voté la loi sur le voile. L'islam fait partie du paysage français et européen, il a droit à cet égard à la liberté de culte, à des lieux de prière corrects et au respect. A condition qu'il respecte lui-même les règles républicaines, ne réclame pas un statut extraterritorial, droits spéciaux, dérogation de piscine et de gymnastique pour les femmes, enseignement et cantine séparés, faveurs diverses. Ce qu'on peut lui souhaiter de mieux, ce n'est pas la « phobie » ou la « philie » mais l'indifférence bienveillante dans un marché de la spiritualité ouvert à toutes les croyances. Mais de cette indifférence, les intégristes ne veulent pas. Cela voudrait dire que l'islam est une religion parmi beaucoup, constat intolérable à leurs yeux. Elle ne peut pas être l'égale des autres puisqu'elle leur est supérieure à toutes. C'est bien le problème !

Pascal Bruckner, Essayiste et écrivain.

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