L’islam est dévoyé par des extrémistes sans connaissance religieuse véritable

De nombreuses régions du monde ont été victimes d’extrémistes violents agissant au nom de l’islam, les récentes tueries à Paris étant les plus choquantes de ces attaques. Les responsables et commentateurs occidentaux et orientaux sont hantés par la question de savoir où se trouvent les modérés. Nombreux sont ceux qui désespèrent de trouver des partenaires progressistes et pacifiques reconnus dans le monde musulman.

Pourtant, réconcilier l’islam avec le monde moderne est depuis longtemps un impératif pour les musulmans. Ce processus remonte notamment au XIXe siècle, lorsque ce que l’on appelle le mouvement de la réforme islamique prit naissance à l’université Al-Azhar du Caire, le principal établissement d’enseignement de l’islam.

Au Dar Al-Iftaa, l’organisme suprême égyptien pour les édits juridiques islamiques que je préside, nous débattons en permanence de la question de l’application de l’islam dans le monde moderne. Nous publions des milliers de fatwas, ou édits juridiques officiels, affirmant le droit des femmes à la dignité, à l’éducation, à l’emploi ou à l’exercice d’une fonction politique, ou condamnant la violence et la terreur motivées par des motifs religieux. Nous avons défendu le droit à la liberté de conscience et à la liberté d’expression dans les limites de la décence élémentaire. Nous avons rappelé les points communs qui existent entre l’islam, le christianisme et le judaïsme. Nous veillons au respect de la liberté humaine dans le cadre de la loi islamique. Nous devons toutefois effectuer des progrès supplémentaires sur ces questions et sur d’autres problèmes.

Nous avons condamné sans équivoque la violence exercée à l’encontre d’innocents au cours de la lutte que l’Egypte a menée contre le terrorisme dans les années 1980 et 1990, le péché abominable du 11-Septembre, l’actuelle lutte contre le terrorisme en Egypte et l’attaque récente contre Charlie Hebdo à Paris. Nous continuons à le faire dans les débats publics que nous menons avec les extrémistes, dans notre action auprès des écoles et des organisations de jeunesse, dans la formation que nous prodiguons à ceux qui viennent du monde entier étudier dans les établissements théologiques égyptiens et dans notre action de prévention auprès des extrémistes. En tant que responsable de l’une des plus hautes autorités islamiques du monde, je le répète : le meurtre de civils est un crime contre l’humanité et contre Dieu qui mérite le châtiment en ce monde comme dans l’autre.

Le respect de nos différences

Si nous devons nous efforcer de renforcer les principes communs que nous partageons, nous devons également accepter la réalité des différences dans nos valeurs et notre conception du monde. Les religions et les cultures du monde n’ont pas les mêmes systèmes de valeurs. Le respect de nos différences doit être le fondement de la coexistence, jamais un motif de conflit.

Depuis ma nomination en tant que grand mufti d’Egypte, nous avons veillé à nous adresser au monde entier afin de promouvoir la coexistence pacifique et construire des passerelles.

Pourtant, au regard de l’attention dont fait l’objet le monde musulman, je crois que des avancées pratiques sont nécessaires pour transformer cette bonne volonté en une relation durable de confiance et de respect. Tel est le message que je désire transmettre au nom du monde musulman au cours de mon prochain déplacement en France, du 21 au 25 avril.

En premier lieu, pour que l’islam soit un acteur reconnu et modéré dans le monde d’aujourd’hui, il est fondamental que ce soit des religieux musulmans certifiés qui soient considérés comme parlant au nom de l’islam. Les médias succombent trop souvent à la tentation de confondre avec l’ensemble des musulmans des extrémistes qui ne représentent personne en dehors d’eux-mêmes.

Nous partageons une part de responsabilité dans cette confusion. C’est pourquoi il est temps que les religieux musulmans se fassent mieux entendre. Mais il est important aussi que les médias, les ONG et les gouvernements soient plus attentifs dans leurs rapport avec les érudits religieux.

C’est en procédant ainsi qu’un islam sain et modéré pourra l’emporter sur cette minorité qui adhère aux enseignements extrémistes. De très importants efforts sont, d’ores et déjà, déployés dans l’ensemble du monde musulman pour éduquer les prêcheurs et toux ceux qui étudient l’islam afin de les aider à s’engager de façon plus productive dans la modernité. Par ailleurs, les religieux musulmans s’activent sur la scène internationale afin d’améliorer les relations entre les religions.

En deuxième lieu, il est nécessaire que notre dialogue se déroule sur tous les plans. Au-delà de l’appel immédiat à entamer un nouveau chapitre et à améliorer nos relations, il est urgent d’ouvrir le dialogue afin d’y inclure les discours scientifiques, culturels, économiques et technologiques. Il devrait exister des relations plus étroites entre les universités et centres de recherche français et égyptiens et entre nos étudiants. Ce partage de la connaissance parmi la jeunesse, avant que le fanatisme et les stéréotypes ne s’installent, est une méthode sûre pour améliorer la tolérance de la prochaine génération de dirigeants.

Restaurer l’autorité

Troisièmement, tant dans l’islam que dans les autres religions, nous assistons à un phénomène par lequel des laïques dépourvus d’une connaissance religieuse adéquate tentent de s’ériger en autorités religieuses alors mêmes qu’ils ne possèdent pas les qualifications requises pour procéder à des interprétations correctes de la loi et de la morale religieuses. C’est cette attitude dévoyée et rebelle à l’égard de la religion qui ouvre la voie à des interprétations extrémistes de l’islam qui n’ont aucun fondement.

De surcroît, aucun de ces extrémistes n’a été éduqué à l’islam dans de véritables centres d’enseignement de l’islam. Ils sont en fait le produit d’environnements chaotiques et ont adhéré à des interprétations biaisées et erronées de l’islam. Leur objectif est politique et n’a aucun fondement religieux. Il vise à semer le désordre et le chaos dans le monde.

Notre rôle en tant que responsables religieux ayant consacré leur vie à étudier les exégèses religieuses est de restaurer l’autorité de ceux qui possèdent la connaissance. J’ai entrepris, au poste que j’occupe actuellement, de promouvoir une image authentique de l’islam qui, je l’espère, fournira au monde une meilleure compréhension de l’islam et du monde musulman qui nous aidera à vivre ensemble dans la paix et la coopération mutuelle.

Même si c’est un cliché de dire que le dialogue est une voie à double sens, cela demeure une vérité fondamentale que l’on risque aujourd’hui de perdre de vue. Il ne fait aucun doute que la responsabilité d’une meilleure relation entre le monde musulman et l’Occident échoit autant à l’un qu’à l’autre. J’ai le sentiment que cela est non seulement possible, mais que c’est la seule façon pour nous d’édifier un monde plus lumineux et plus prospère pour nos enfants et petits-enfants. Avec de la coopération et du respect, aucune tâche n’a jamais été impossible à l’homme.

Shawki Allam, Grand mufti d’Egypte. Traduit de l’anglais par Gilles Berton.

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